Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/425

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Tasse ou de l’Arioste. Si vous répondiez qu’il fallait rendre grâce à Dieu et à la nature d’avoir accordé à une nation deux hommes si excellents, qui, selon les temps et les circonstances, selon les situations et la manière de sentir, nous font passer tour à tour les plus heureux moments, nous apaisent, nous ravissent, cette parole sage ne satisfaisait personne. On se mettait à relever de plus en plus celui pour lequel on s’était prononcé, et à rabaisser l’autre à proportion. La première fois, j’essayai de prendre sa défense et de faire valoir ses mérites, mais cela resta sans effet : on avait pris parti et l’on demeura dans son sentiment. Comme cela se répétait sans cesse, et que j’avais ces choses trop à cœur pour en faire un exercice de controverse, j’évitai ces entretiens, surtout quand j’eus remarqué que c’étaient là de pures phrases, qu’on avançait et qu’on soutenait sans prendre aux choses un véritable intérêt.

C’était bien pis encore quand il était question de Dante. Un jeune homme de qualité, qui avait de l’esprit et un goût réel pour cet homme extraordinaire, ne reçut pas trop bien mon suffrage et mon approbation, assurant sans détour que tout étranger devait renoncer à entendre un génie si extraordinaire, puisque les Italiens eux-mêmes ne pouvaient pas toujours le suivre. Après quelques répliques de part et d’autre, je finis par me sentir piqué, et je m’avouai disposé à lui donner raison, car je n’avais jamais pu comprendre qu’on s’occupât de ses poèmes. L’Enfer me paraissait abominable, le Purgatoire équivoque, le Paradis ennuyeux. Le jeune homme en fut charmé, parce qu’il en tira un argument pour sa thèse. Cela même prouvait, disait-il, que je n’avais pu comprendre la profondeur et la sublimité de ces poèmes. Nous nous quittâmes très-bons amis, et même il me promit de me montrer et de m’expliquer quelques endroits difficiles, sur lesquels il avait longtemps . réfléchi et dont il avait enfin démêlé le sens.

La conversation des artistes et des amateurs n’était malheureusement pas plus instructive. Cependant on finissait par excuser chez les autres le défaut qu’on devait se trouver à soimême. C’était tantôt à Raphaël, tantôt à Michel-Ange, qu’on donnait la préférence, d’où il fallait conclure que l’homme est un être si borné, qu’avec un esprit ouvert à ce qui est grand, il