Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/450

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tôt la position de ces mots principaux et se familiarisa avec la place qu’ils avaient prise dans la période. Je passai ensuite aux mots qui formaient le tissu de la phrase, qui lui donnaient la forme et le mouvement, et lui fis remarquer, à sa grande joie, comme ces mots animaient le tout ; enfin je la catéchisai si bien qu’elle finit par lire d’elle-même tout le passage, comme s’il eût été écrit en italien, ce qu’elle ne put faire sans éprouver une émotion charmante. Je n’ai guère vu de joie intellectuelle aussi sincère que celle qu’elle exprima, en me remerciant avec une grâce infinie pour le coup d’œil que je lui avais fait jeter dans ce nouveau champ. Elle se possédait à peine, en reconnaissant la possibilité d’atteindre au but de son désir le plus ardent, et d’y toucher déjà par ’forme d’essai.

La société était devenue plus nombreuse ; Angélique était aussi arrivée ; on m’avait placé à sa droite, à une grande table servie ; mon écolière était debout du côté opposé, et, tandis que les autres personnes faisaient des façons pour se placer à table, elle n’hésita pas un moment à en faire le tour et à s’asseoir à côté de moi. Ma sérieuse voisine parut le remarquer avec quelque étonnement, et le coup d’reil d’une femme clairvoyante n’était pas nécessaire pour reconnaître qu’il s’élait passé là quelque chose, et qu’un ami qui avait montré jusqu’alors pour les femmes un éloignement poussé jusqu’à une sèche impolitesse, s’était vu enfin lui-même pris à l’improviste et apprivoisé.

Je fis encore assez bonne contenance ; toutefois mon émotion se trahit bientôt par un certain embarras avec lequel je partageais ma conversation entre mes voisines, cherchant à entretenir avec chaleur l’amie d’âge mûr, délicate, et, cette fois, silencieuse, et à calmer, en lui témoignant une sympathie amicale mais calme et presque évasive, la jeune fille, qui semblait toujours se complaire dans la langue étrangère, et se trouvait dans la situation d’une personne qui, éblouie tout à coup par l’apparition de la lumière désirée, ne sait pas se reconnaître d’abord dans les objets qui l’entourent.

La situation était vive, mais bientôt les choses changèrent de face l’trangement. Vers le soir, comme je cherchais les jeunes demoiselles, je trouvai les femmes âgées dans un pavillon d’où