Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/454

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tience, et même le désir de me suivre pour jouir du même bonheur dont mes lettres enjouées et aussi instructives donnaient l’idée la plus favorable. Il faut dire que, dans la société spirituelle et savante de notre duchesse Amélie, on avait toujours considéré l’Italie comme la nouvelle Jérusalem des personnes vraiment cultivées ; une vive aspiration vers ce pays, telle que Mignon pouvait seule l’exprimer, subsistait toujours dans les esprits et dans les cœurs. La digue était enfin rompue, et peu à peu il paraissait clairement que, d’une part, la duchesse Amélie avec son entourage, d’une autre part, Herder et le cadet des Dalberg, se disposaient sérieusement à passer les Alpes. Je leur conseillai d’attendre la fin de l’hiver, de pousser jusqu’à Roms dans la moyenne saison, et ce conseil loyal, fondé sur l’expérience, tourna aussi à mon propre avantage. J’avais passé dans un monde tout à fait étranger des jours qui faisaient époque dans ma vie : je résolus de ne pas attendre en Italie l’arrivée de mes amis. Je savais parfaitement que ma manière de voir les choses ne serait pas d’abord la leur, car j’avais travaillé moi-même depuis une année à me défaire des opinions et des idées chimériques du Nord, et je m’étais accoutumé à contempler et à respirer plus librement sous l’azur d’un beau ciel. Les voyageurs allemands survenus dans l’intervalle m’avaient toujours été extrêmement à charge ; ils cherchaient ce qu’ils devaient oublier ; et quand ce qu’ils avaient longtemps désiré était devant leurs yeux, ils ne pouvaient le reconnaître. Moi-même j’avais assez de peine à me maintenir par la méditation et la pratique dans la voie que j’étais parvenu à reconnaître pour la véritable. Je pouvais éviter des Allemands étrangers : des personnes si intimes, si chères et si respectées m’auraient troublé et gêné par leurs propres erreurs, par leur demi-intelligence des choses, et même en entrant dans mes idées.

En attendant, je me Mtai de mettre avec soin le temps à profit ; les méditations indépendantes, les conversations instructives, l’observation du travail des artistes, se succédaient sans relâche ou plutôt s’entremêlaient.