Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/482

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Je m’éloignai avec une satisfaction secrète, et je me rejetai dans la presse des fous, avec le plus tendre sentiment de reconnaissance envers Angélique, qui s’était intéressée à la bonne jeune fille aussi :ôt après son malheur, l’avait consolée, et, ce qui est à Rome une chose rare, avait reçu dans sa noble société une demoiselle jusqu’alors étrangère. J’en fus d’autant plus touché, que j’osai me flatter d’y avoir été pour quelque chose par l’intérêt que m’inspirait cette aimable enfant

Le sénateur de Rome, prince Rezzonico, était déjà venu me rendre visite à son retour d’Allemagne. 11 s’était lié d’une intime amitié avec M. et Mme de Diède, et je ne pus éviter de paraître dans ce cercle. Madame, qui était renommée pour son talent sur le clavecin, était disposée à se faire entendre dans un concert.chez le sénateur, en son palais du Capitole, et l’on avait invité avec courtoisie notre ami Kayser à y prendre part. La vue incomparable qu’on a au coucher du soleil, des appartements du sénateur, sur le Colisée avec tout ce qui s’y appuie des autres côtés, offrait à nos regards d’artistes le plus magnifique spectacle, mais nous n’osions pas nous y abandonner, de peur de manquer envers la société de respect et de politesse. Mme de Diùde se fit entendre, et développa de grands avantages, puis on oflVit la place à notre ami, qui recueillit beaucoup de louanges. 11 exécuta ensuite sur un thème charmant des variations étonnantes.

Tout avait été pour le mieux : mais le sénateur, qui m’avait dit dans une conversation particulière mille choses aimables, m’avoua que les variations étaient peu de son goût ; les adagio de sa dame avaient au contraire pour lui un charme toujours nouveau. Pour moi, je préfère la musique stimulante, et je trouve que nos propres sentiments, nos réflexions sur les pertes et les revers que nous avons éprouvés ne menacent que trop souvent de nous abattre et de nous surmonter, mais je ne pus blâmer notre sénateur ; je lui accordai même poliment qu’il devait prêter volontiers l’oreille à des accents si doux, témoignage certain qu’il hébergeait dans la plus magnifique résidence du monde une si chère et si estimable amie.

Pour nous autres auditeurs, et surtout pour les Allemands, ce fut un moment délicieux que celui où nous pûmes entendre une