Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/50

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gauche du lac de Neuchâtel, et qui nous permit de deviner la position du lac, dont une vapeur bleuâtre nous dérobait la vue ! Il n’y a point de termes pour exprimer la grandeur et la beauté de ce spectacle ; c’est à peine si l’on a d’abord le sentiment de ce qu’on voit : seulement on se rappelle avec plaisir les noms et les formes des villes et des villages, et l’on s’émerveille de reconnaître que ce sont les mêmes points blancs qu’on a devant soi.

Cependant la chaîne des glaciers étincelants rappelait toujours les yeux et l’âme. Le soleil déclinait toujours plus vers l’occident, et faisait reluire leurs plus grands plateaux. Du sein des neiges, que de rochers noirs, de dents, de tours et de murailles s’élèvent devant eux, diversement rangés, et forment de sauvages, énormes, impénétrables portiques ! Lorsque ensuite, avec leur diversité, ils se montrent nettement et purement dans l’espace, on abandonne aisément toute prétention à l’infini, puisque le fini lui-même est suffisant pour lasser la vue et la pensée.

Nous voyions devant nous une terre habitée et fertile ; le sol que nos pieds foulaient, haute montagne pelée, porte encore du gazon, nourriture du bétail, dont l’homme fait son profit. Voilà ce que peut encore s’approprier le présomptueux roi de la terre ; mais ces hautes Alpes sont comme une sainte armée de vierges, que, sous nos yeux, en des régions inaccessibles, l’Esprit du ciel se réserve pour lui seul dans une éternelle pureté. Nous passâmes encore quelque temps à nous provoquer l’un l’autre, pour découvrir, tantôt à l’œil nu, tantôt avec le télescope, les villes, les montagnes et les pays, et nous ne descendîmes pas avant que le soleil, à son déclin, laissât la brume répandre sur le lac son voile crépusculaire.

Nous atteignîmes au coucher du soleil les ruines du fort de Saint-Cergue. Plus près de la vallée, nos yeux ne cessaient pas encore de se diriger vers les glaciers. Les derniers à gauche, ceux de l’Oberland, semblaient s’évanouir dans une légère vapeur de flamme ; les plus proches se présentaient encore à nous vivement colorés en quelques parties ; peu à peu ils devinrent blancs, verts, grisâtres : objet presque funèbre. Comme, dans un corps robuste, la mort s’avance des extrémités vers le cœur,