Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

glace même, on regarde les masses qui se pressent d’en haut, séparées par d’étonnantes crevasses. Mais nous ne jugeâmes pas à propos de rester davantage sur ce sol glissant : nous n’étions pourvus ni de crampons ni de souliers ferrés ; la longue marche avait même poli et arrondi les talons de nos chaussures. Nous remontâmes donc aux cabanes, et, après quelque repos, nous nous disposâmes au départ. Ayant descendu la montagne, nous arrivâmes à l’endroit où le fleuve de glace pénètre par degrés au bas de la vallée, et nous entrâmes dans la grotte où il répand ses eaux. Elle est large, profonde, du plus bel azur, et l’on est plus en sûreté dans le fond qu’à l’ouverture, où de grands blocs de glace se détachent sans cesse parla fusion. Nous primes le chemin de noire auberge, en passant devant la demeure de deux blondins, enfants de douze à quatorze ans, qui ont la peau très-blanche, les cheveux blancs, mais roides, les yeux roses et mobiles, comme les lapins. La profonde nuit qui règne dans la vallée m’invite de bonne heure au sommeil, et j’ai à peine assez d’entrain pour vous dire que nous avons vu un jeune chamois apprivoisé, qui se comporte parmi les chèvres comme le fils naturel d’un grand seigneur, dont l’éducation se fait dans le paisible intérieur d’une famille bourgeoise. Il n’est pas à propes que je vous fasse part de nos entretiens : les granits, les gneiss, les mélèzes et les pins ne vous intéressent guère : cependant il faudra que vous voyiez prochainement des fruits remarquables de nos herborisations.. Il me semble que je suis accablé de sommeil, et je ne puis écrire une ligne de plus.

Chamouni, 6 novembre 1779, le matin.

Satisfaits de ce que la saison nous a permis de voir, nous sommes prêts à partir pour pasifr aujourd’hui même dans le Valais. Toute la vallée est couverte de brouillards jusqu’à la moitié de la hauteur, et nous devons attendre ce que le soleil et le vent voudront faire en notre faveur. Notre guide nous propose de passer le col de Balme, haute montagne, au nord de la vallée, du côté du Valais. De ce point élevé nous pouvons encore, si nous sommes heureux, contempler d’un coup d’œil la vallée de Chamouni avec la plupart de ses merveilles. Tandis que j’écris ces lignes, il se passe dans le ciel un magnifique phé-