Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/60

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montâmes quelque temps avec patience, et tout à coup, dans notre marche ascendante, le ciel commença à s’éclaircir sur nos têtes. Peu de temps après, nous sortîmes des nuages, nous les vîmes à nos pieds peser de tout leur poids sur la vallée, et nous pûmes voir, signaler et nommer par leurs noms les montagnes qui la ferment à droite et à gauche, à l’exception de la cime du Mont-Blanc qui était couverte de nuages. Nous voyions quelques glaciers descendre de leurs sommets jusque dans les masses de nuages ; des autres, nous ne voyions que l’emplacement, parce que les masses glacées étaient masquées par les arêtes des montagnes. Par-dessus toute la plaine de nuages, nous découvrions, par delà l’extrémité méridionale de la vallée, des cimes lointaines éclairées par le soleil. Que sert-il de vous énumérer les noms des sommets, des crêtes, des aiguilles, des masses de neige et de glace, qui n’offriraient à votre esprit aucune image ni de l’ensemble ni des détails ? Il est plus intéressant de vous dire comme les esprits de l’air semblaient se faire la guerre sous nos pieds. A peine étions-nous arrêtés depuis quelques moments, pour jouir de ce grand spectacle, qu’une fermentation ennemie parut se développer dans le brouillard, qui tout à coup se traîna vers les hauteurs et menaça de nous envelopper encore. Nous hâtâmes le pas, pour lui échapper de nouveau, mais il nous devança et nous couvrit. Nous montâmes toujours avec plus d’ardeur, et bientôt un vent contraire vint de la montagne même à notre secours : il soufflait par le col entre deux sommets, et repoussa le brouillard dans la vallée. Ce merveilleux combat se renouvela souvent. Nous parvînmes enfin heureusement au col de Balme. L’aspect avait un caractère étrange. Le haut du ciel, par-dessus les crêles des montagnes, était nuageux ; à nos pieds, nous voyions, à travers le brouillard, qui se déchirait quelquefois, la vallée entière de Chamouni, et, entre ces deux couches de nuages, les sommets des montagnes étaient tous visibles. A l’orient, nous étions enfermés par des monts escarpés ; au couchant, notre vue plongeait dans de sauvages vallées, où se montraient pourtant dans quelques pâturages des habitations humaines. Devant nous s’étendait le Valais, où l’on pouvait voir d’un coup d’œil, jusqu’à Mariigny et plus loin encore, un labyrinthe de