Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/76

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voyage a pu se comparer jusqu’ici à une marche contre l’ennemi, et voici, pour ainsi dire, le moment où nous approchons de la place dans laquelle il s’est retranché et où nous devons en venir aux mains avec lui. Outre notre mulet, nous avons commandé deux chevaux pour demain matin.

Munster, 11 novembre 1779, six heures du soir.

Encore une agréable et belle journée ! Ce matin, comme nous partions de Brieg à cheval, par un beau temps, l’hôte nous a dit au dernier moment, que, si la montagne (c’est ainsi que ces gens appellent la Furca) était trop méchante, nous pourrions toujours revenir sur nos pas et chercher un autre chemin. Avec nos deux chevaux et un mulet, nous traversâmes bientôt d’agréables prairies, où la vallée est si étroite, qu’il y a d’un côté à l’autre à peine quelques portées de fusil. On y trouve un beau pâturage, où s’élèvent de grands arbres et des roches éparses, qui se sont détachées des hauteurs voisines. La vallée devient toujours plus étroite ; on est forcé de s’élever sur le flanc des montagnes, et désormais on a toujours le Rhône sous les pieds, à main droite, dans une gorge escarpée. Mais, dans les hauteurs, la vallée redevient plus large et très-belle ; sur des collines aux courbures diverses se déploient de gras pâturages, s’élèvent de jolis villages, qui, avec leurs brunes maisons de bois, ressortent singulièrement parmi la neige. Nous sommes allés beaucoup ;’i pied, et nous l’avons fait tous deux pour nous complaire l’un à l’autre : en effet, bien que l’on soit en sûreté à cheval, nous croyons toujours en danger la personne que nous voyons chevaucher devant nous dans un sentier si étroit, portée par une si faible monture, au bord d’un abîme escarpé. Comme il ne peut se trouver maintenant aucun bétail au pâturage, toute la population étant retirée dans les maisons, la contrée a un aspect solitaire, et la pensée qu’on est enfermé toujours plus étroitement, entre d’énormes montagnes, éveille dans l’esprit d’importunes et tristes images, qui pourraient aisément jeter à bas le voyageur, s’il n’était pas ferme en selle. L’homme n’est jamais entièrement maître de lui. Comme il ne sait pas l’avenir, que même le moment le plus proche lui est caché, souvent, lorsqu’il en reprend quelque chose d’extraordinaire, il