Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/78

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devenu tellementméconnaissable, que les serviteursdeson père, envoyés à sa recherche, ne l’avaient pas reconnu. Il se tenait d’ordinaire à la porte de la cathédrale, assistait au service divin, et se nourrissait des chétives aumônes des fidèles. Trois ou quatre ans après, divers miracles s’étaient accomplis, qui annonçaient une faveur particulière de la Divinité. L’évêque avait entendu dans l’église une voix qui lui disait d’appeler dans le temple l’homme le plus pieux, dont la prière était la plus agréable au Seigneur, pour célébrer le service à ses côtés. Comme l’évêque ne savait pas quel homme était désigné, la voix lui avait indiqué le mendiant, qu’il avait fait appeler, à la grande surprise du peuple. Saint-Alexis, consterné de voir que l’attention/se fût portée sur lui, s’était esquivé sans bruit et s’était embarqué, avec l’intention de passer plus loin dans les pays étrangers. Mais une tempête et d’autres circonstances l’avaient fojrcé d’aborder en Italie. Le saint homme avait vu dans cet événement le doigt de Dieu, et s’était applaudi de trouver une occasion qui lui permettrait de montrer, au plus haut degré, le renoncement à lui-même. Il s’était donc acheminé droit à sa ville natale ; il s’était présenté comme un pauvre mendiant à la porte de la maison paternelle ; ses parents, le tenant pour tel, l’avaient bien reçu, selon leur pieuse bienfaisance, et avaient chargé un serviteur de lui fournir dans le château un logement et la nourriture nécessaire. Le serviteur, ennuyé de cette corvée et blâmant la bienfaisance de ses maîtres, avait logé le prétendu mendiant dans un mauvais trou sous l’escalier, et lui avait jeté, comme à un chien, une chétive et maigre nourriture. Le saint homme, au lieu d’en être déconcerté, en avait loué Dieu dans son cœur, et non-seulement il avait souffert, d’un esprit tranquille, cet accueil, qu’il auraitpu aisément changer, mais il avait supporté avec une fermeté incroyable et surhumaine la tristesse que ses parents et sa femme ne cessaient pas de ressentir pour leur cher Alexis. Car il entendait cent fois le jour ses parents bien-aimés et sa belle épouse l’appeler par son nom, soupirer après lui, et se consumer de chagrin à cause de son absence.» Ici l’hôtesse ne put retenir ses larmes plus longtemps, et ses deux filles qui, pendant son récit, s’étaient pendues à sa robe, regardaient fixement leur mère. « Je ne puis, disait-elle, me