Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/80

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de l’histoire et oublié parfaitement toutes les insipides applications de cet écrivain.

Nous allons souvent à la fenêtre et nous observons le temps qu’il fait, car nous sommes à présent fort disposés à invoquer les vents et les nuages. Les premières heures de la nuit et le silence universel sont les éléments dans lesquels l’œuvre de l’écrivain réussit le mieux, et je suis persuadé que, si je pouvais et devais séjourner quelques mois seulement dans un lieu tel que celui-ci, tous mes drames commencés seraient forcément achevés l’un après l’autre. Nous avons déjà consulté plusieurs de ces gens, et nous les avons questionnés sur le passage de la Furca, mais ici même nous ne pouvons rien savoir de positif, bien que la montagne ne soit qu’à deux lieues. Il faut donc nous tranquilliser, et demain, au point du jour, faire nous-mêmes une reconnaissance, pour voir comment notre sort se décidera. Si calme que je sois d’ailleurs, ce serait, je l’avoue, un extrême chagrin pour moi, si nous étions repoussés. Si nous sommes heureux, nous serons demain soir à Réalp sur le Gothard, et après-demain, à midi, au sommet de la montagne, chez les capucins ; si nous échouons, nous n’avons pour la retraite que deux chemins ouverts, dont l’un ne vaut guère mieux que l’autre : redescendre tout le Valais et prendre par Berne la route connue, pour aller à Lucerne, ou bien retourner à Brieg et ne revenir au Gothard que par un grand détour. Je crois vous avoir dit dans ce peu de pages déjà trois fois la chose. Il est vrai qu’elle est pour nous de la plus grande importance. L’événement décidera qui avait raison, ou notre courage et notre confiance dans le succès, ou la prudence de quelques personnes, qui veulent fortement nous déconseiller ce chemin. Une chose certaine, c’est que la prudence et le courage doivent l’un et l’autre reconnaître que la fortune les domine. Après avoir examiné le temps encore une. fois, observé que l’air est froid, le ciel, serein et sans disposition à la neige, nous allons nous coucher tranquillement.

Munster, 12 novembre 1779, six heures du matin.

Nous sommes déjà prêts, et nous avons plié bagage pour nous mettre en chemin au point du jour. Nous avons deux lieues de