Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/104

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Tous le pressaient ; nul ne restait en arrière. Schloppe, le bancal, Ludolphe, le camus, étaient les plus acharnés, et Gérold agitait dans ses mains crochues le fléau de bois ; à ses côtés était son beau-frère Kucklerei, le gros : l’un et l’autre frappaient au mieux ; mais Quack et Mme Jeanne ne manquaient pas de faire leur devoir. Talke Lorden Quacks frappa de sa hotte le malheureux. Et ceux que nous nommons n’étaient pas les seuls : hommes et femmes accouraient en foule, et ils voulaient la vie de l’ours. Kucklerei criait plus que les autres. Il se croyait un personnage : car Mme Willigetrude, qui demeurait derrière la porte du village, était, on le savait, sa mère. Son père, on ne l’avait jamais connu : toutefois les paysans supposaient que le noir Sander, le faucheur, fier compagnon, quand il était seul, pourrait bien être son père. Les pierres volaient aussi comme grêle, menaçant de toutes parts Brun désespéré. Soudain le frère de Rusteviel s’élança en avant, et, d’un épais et long gourdin, il assena un tel coup sur la tête de l’ours, qu’il n’y voyait et n’entendait plus : cependant il se relève de ce rude coup ; il se jette, furieux, au travers des femmes, qui chancellent, qui tombent et crient ; quelques-unes sont précipitées dans l’eau ; et l’eau était profonde. Le curé pousse un cri.

« Voyez, dit-il, Mme Jeanne, la cuisinière, nage là-bas, dans sa fourrure, et voici la quenouille ! Au secours, mes amis ! Je donne, en récompense, deux tonneaux de bière et force indulgences et pardons. »

Tous laissèrent l’ours comme mort, et coururent à l’eau après les femmes : on en tira cinq sur le bord. Tandis que les hommes étaient occupés sur la rive, l’ours, en sa grande détresse, se traîna dans l’eau, rugissant de l’effroyable douleur qu’il sentait. 11 aimait mieux se noyer que de souffrir si honteusement les coups. Il n’avait jamais essayé de nager, et il espérait finir surle-champ sa vie. Contre son attente, il se sentit nager, et il fut heureusement porté par le courant. Tous les paysans le virent et s’écrièrent :

« Voilà qui sera pour nous une honte éternelle ! » Ils étaient furieux ; ils maudissaient les femmes. « Qu’elles auraient mieux fait de rester à la maison ! Voyez-vous à présent ? Il nage, il s’en va. »