Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jeune fille la robe de chambre de notre père ; je lui donnai aussi les chemises et les draps. Elle me remercia avec joie et s’écria : t Les heureux ne croient pas qu’il arrive encore des miracles, car « c’est seulement dans l’infortune qu’on reconnaît la main de « Dieu, qui mène les bonnes âmes aux bonnes actions. Le bien « qu’il nous fait par vous, qu’il veuille vous le faire lui-même ! » Et je voyais l’accouchée tâter avec joie les divers linges, mais surtout la moelleuse flanelle de la robe de chambre. « Hâtons« nous, lui dit la jeune fille, de gagner le village où déjà notre « monde se repose et passera cette nuit. Là je préparerai tout « de suite les langes de l’enfant. » Elle me salua encore une fois, me remercia de la manière la plus cordiale, puis elle toucha les bœufs, et la voiture avança. Pour moi, je m’arrêtai, je retins encore mes chevaux : car j’hésitais entre deux partis. Devais-je gagner le village avec mes chevaux rapides et distribuer les provisions aux autres exilés, ou tout remettre incontinent à la jeune fille, pour qu’elle en fît la distribution avec prudence ? Je me décidai à l’instant même ; je la suivis doucement et l’atteignis bientôt et m’empressai de lui dire : « Bonne jeune fille, • ma mère n’a pas mis du linge seulement sur ma voiture, pour c vêtir les nécessiteux, elle y a joint encore des provisions et di« vers rafraîchissements, et j’en ai une assez grande abondance « dans les caissons de la voiture. Mais à posent je voudrais « remettre aussi tous ces dons en tes mains, et, de la sorte, je « remplirai pour le mieux ma commission. Tu feras le partage « avec intelligence : moi, je serais obligé de m’en rapporter au « hasard. » La jeune fille répondit : « Je distribuerai vos dons « avec une entière fidélité : ils réjouiront les indigents. » Ainsi dit-elle. J’ouvris aussitôt les caissons de la voiture ; j’en tirai les jambons pesants, j’en tirai les pains, les bouteilles de vin et de bière, et je lui remis chaque chose : j’aurais voulu lui donner davantage, mais les caissons étaient vides. Elle mit tout cela sur sa voiture, aux pieds de la pauvre femme, et poursuivit sa route : je repris avec mes chevaux le chemin de la ville. »

Quand Hermann eut fini, le voisin bavard prit aussitôt la parole, et s’écria :

« Heureux, en ces jours de fuite et de trouble, qui vit seul sa maison ! qui ne voit pas une femme et des enfants se