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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/20

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rire continuèrent, au milieu même de leurs jeux et de leurs chants. Je me hâtai de revenir chez nous, honteux et mécontent ; je pendis la redingote dans l’armoire ; j’aplatis mes cheveux avec les doigts, et je fis serment de ne plus franchir le seuil de cette maison. Et j’ai bien fait : elles sont vaines et insensibles, et j’entends dire que, chez elles, on m’appelle toujours Tamino.

— Hermann, reprit la mère., tu ne devrais pas être si longtemps fâché contre ces enfants, car elles sont toutes des enfants. En vérité, Minette est bonne, elle eut toujours de l’affection pour toi. L’autre jour encore, elle me demandait de tes nouvelles. Tu devrais fixer ton choix sur elle. •»

Le fils répondit avec hésitation :

« Je ne sais, ce chagrin m’a laissé une impression si profonde, qu’en vérité, je ne pourrais plus la voir au clavecin ni entendre ses chansonnettes. »

Mais le père s’emporta et dit ces paroles violentes :

« Tu me donnes peu de joie ! Je t’ai toujours dit, quand tu ne semblais te plaire qu’aux chevaux et au labourage : « Tu fais ce « que peut faire le valet d’un homme riche.» En attendant, il faut que le père se passe du fils, qui lui ferait honneur aux yeux des autres bourgeois. Et voilà comme ta mère m’a trompé d’abord avec de vaines espérances, quand tu ne pouvais jamais réussir à lire, écrire et apprendre à l’école comme les autres, et que tu étais toujours à la dernière place. Voilà ce qui arrive, quand le sentiment de l’honneur n’est pas vivant dans le cœur d’un jeune homme, et quand il ne veut pas s’élever. Si mon père avait fait pour moi comme j’ai fait pour toi ; s’il m’avait envoyé à l’école et m’avait donné des maîtres, je serais autre chose qu’aubergiste du Lion d’or. »

Cependant le fils s’était levé, et il s’approchait de la porte en silence, lentement et sans bruit : alors le père, courroucé, lui cria :

« Va, va, je connais ta mauvaise tête ! Va, continue à travailler pour la maison, afin que je n’aie pas à gronder. Mais ne t’avise pas de m’amener pour belle-fille une paysanne, une vachère ! J’ai longtemps, vécu et je sais me conduire avec le monde ; je sais recevoir les seigneurs et les dames, en sorte