Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/220

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12 mai.

Je ne sais si des génies trompeurs planent sur cette contrée, ou si elle est dans mon cœur, l’ardente et céleste fantaisie qui donne l’air du paradis à tout ce qui m’environne. A l’entrée de la ville est une fontaine, une fontaine où je suis enchaîné par un charme, comme Mélusine avec ses sœurs…. On suit la pente d’une petite colline, et l’on se trouve devant une voûte ; on descend une vingtaine de marches, et l’on voit l’eau transparente jaillir du rocher. Le petit mur qui forme l’enceinte, les grands arbres qui ombragent la place alentour, la fraîcheur du lieu, tout vous attire et vous cause un secret frissonnement.

Il ne se passe aucun jour où je ne vienne m’asseoir une heure en ce lieu. Les jeunes filles y viennent de la ville puiser de l’eau, fonction innocente et nécessaire, que remplissaient jadis les filles mêmes des rois. Assis à cette place, je vois soudain revivre autour de moi les mœurs patriarcales ; je vois les hommes d’autrefois faire connaissance et chercher femme à la fontaine, et, autour des fontaines et des sources, planer des génies bienfaisants. Jamais, dans un jour d’été, après une marche pénible, il n’a goûté, près d’une source, une fraîcheur salutaire, celui qui ne peut sentir ce que je sens.

13 mai.

Tu me demandes si tu dois m’envoyer mes livres ?… Mon ami, au nom du ciel, ne m’embarrasse pas de ce fardeau. Je ne veux plus être guidé, excité, animé : ce cœur fermente assez de lui-même. Ce qu’il me faut, c’est un chant qui me berce, et je l’ai trouvé abondamment dans mon Homère. Combien de fois j’apaise, à ses chants, mon sang qui bouillonne ! Car tu n’as rien vu d’aussi inégal, d’aussi changeant que mon cœur. Mon ami, ai-je besoin de te le dire, à toi qui as souffert si souvent, à me voir passer de la tristesse au dérèglement, et d’une douce