Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/235

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me saura gré de lui épargner cette peine. Votre danseuse ne sait pas non plus, et ne s’en soucie pas, et j’ai remarqué, dans l’anglaise, que vous valsez bien : s’il vous plaît de figurer avec moi pour l’allemande, allez me demander à mon cavalier, et je m’entendrai avec votre dame. » Là-dessus, je lui donnai la main, et il fut convenu que, dans l’intervalle, son danseur tiendrait compagnie à ma danseuse.

On commença, et nous nous amusâmes quelque temps à diverses passes de bras. Quel charme, quelle légèreté dans ses mouvements ! Et, lorsque nous en vînmes à la valse, et que les couples, comme les sphères célestes, circulèrent les uns autour des autres, il y eut d’abord un peu de confusion, parce que les bons valseurs sont rares. Nous fûmes prudents : nous laissâmes les autres épuiser leur fougue, et, quand les plus gauches nous eurent fait place, nous partîmes, et nous tînmes bon avec un autre couple : Audran et sa danseuse. Je n’ai jamais été si leste. Je n’étais plus un homme. Tenir dans mes bras la plus aimable créature, et tourbillonner avec elle comme l’orage, à tout perdre de vue autour de soi, et…. Wilhelm, pour être sincère, j’ai fait le serment qu’une jeune fille que j’aimerais, sur laquelle j’aurais des prétentions, ne valserait jamais avec un autre que moi, jamais, dusse-je périr ! tu m’entends ?

Nous fîmes quelques tours de salle en marchant, pour reprendre haleine ; puis elle s’assit, et les oranges que j’avais mises de côté, les seules qui restassent encore, firent un excellent effet ; mais, à chaque petit quartier qu’elle distribuait, par politesse, à une voisine indiscrète, je me sentais le cœur blessé.

A la troisième anglaise, nous étions le deuxième couple. Comme nous descendions la colonne, en dansant, et que (Dieu sait avec quelle volupté) je m’attachais à son bras, à ses yeux, où brillait la naïve expression du plaisir le plus franc et le plus pur, nous arrivons à une dame, dont j’avais remarqué l’aimable figure, qui n’avait plus l’air de la première jeunesse. Elle regarde Charlotte en souriant, lève un doigt menaçant, et, au passage, elle prononce deux fois le nom d’Albert d’un ton significatif.

« Qui est Albert, dis-je à Charlotte, s’il n’y a pas de témérité a le demander ? » Elle allait me répondre, quand il fallut nous