Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/242

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il entreprit, mais avec quelque difficulté, de nous en faire l’histoire : * Le vieux, dit-il, nous ne savons pas quelles mains l’ont planté : qui, nomme tel pasteur, qui, tel autre ; mais le plus jeune, là derrière, est du même âge que ma femme, cinquante ans au mois d’octobre…. Son père le planta le matin, et elle vint au monde le soir. C’était mon prédécesseur. A quel point cet arbre lui fut cher, je ne saurais vous le dire ; et certainement je ne l’aime pas moins. Ma femme était assise dessous, sur une poutre, occupée à tricoter (il y a de cela vingt-sept ans), le jour où, pauvre étudiant, j’entrai dans cette cour pour la première fois1. » Charlotte lui demanda des nouvelles de sa fille : on lui dit qu’elle était allée à la prairie avec M. Schmidt, voir les ouvriers, et le vieillard continua de raconter comme son prédécesseur l’avait pris en affection, et sa fille aussi, et comme il était devenu d’abord son vicaire, puis son successeur. L’histoire venait de finir quand la fille du pasteur arriva par le jardin avec M. Schmidt. Elle salua Charlotte avec une vive cordialité, et je dois dire qu’elle ne me déplut point. C’est une brunette vive et bien tournée, avec qui l’on passerait fort bien quelque temps à la campagne ;|son amant (car M. Sdimidt se posa d’abord en cette qualité) était un homme de bon ton, mais taciturne, qui ne voulut pas se mêler à notre conversation, bien que Charlotte l’y invitât sans cesse. Ce qui me fâcha le plus, c’est que je crus remarquer^ sa physionomie, que c’était caprice et mauvaise humeur, plutôt qile défaut d’intelligence, s’il refusait de se communiquer. Par malheur, cela ne devint bientôt que trop évident, car, Frédérique ayant fait un tour de promenade avec Charlotte, et accidentellement aussi avec moi, la figure de M. Schmidt, d’ailleurs un peu brune, prit si évidemment une teinte plus sombre, qu’il était temps que Charlotte me tirât par la manche, et me donnât à entendre que j’étais trop galant avec Frédérique. Or il n’est rien qui me facile plus que de voir les hommes se tourmenter les uns les autres, et surtout de voir des personnes, dans la fleur de l’âge, quand elles pourraient s’ouvrir le mieux à toutes les joies, gâter par leurs grimaces ces quelques beaux jours, et ne


1. Le bon vieillard ne doit donc pas avoir actuellement plus de cinquantedeux ou cinquante-trois ans. On trouvera peut-être que notre auteur le repréfente comme une personne d’un plus grand âge.