Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/266

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elle. Et cela me procure quelques heures enchantées, jusqu’au hioment où il faut m’arracher à cette image. Ah ! Willielm, où mon cœur m’entraînc-t-il souvent !… Quand j’ai été assis près d’elle deux ou trois heures, à me repaître de sa figure, de ses gestes, de son céleste langage, peu à peu tous mes sens s’exaltent, une ombre se répand sur ma vue, j’entends à peine encore, je me sens saisir à la gorge, comme par une main meurtrière ; puis mon cœur, dans ses battements précipités, cherche du soulagement pour mes sens oppressés, et ne fait qu’augmenter leur trouble…. Wilhelm, souvent je ne sais pas si je suis au monde ; et, si quelquefois la tristesse ne prend pas le dessus, et si Charlotte ne m’accorde pas la douloureuse consolation de baigner sa main de mes larmes pour soulager mon angoisse…. il faut que je fuie, il faut que je sorte, et je vais m’égarer bien loin dans les champs. Alors mon plaisir est de gravir une montagne escarpée, de me frayer un sentier à travers un bois impraticable, à travers les buissons qui me blessent, les ronces qui me déchirent. Alors je me trouve un peu soulagé, un peu ! Et, si quelquefois, épuisé de soif et de lassitude, je succombe et m’arrête en chemin ; si quelquefois, dans la profonde nuit, quand la pleine lune brille là-haut sur ma tête, je m’assieds dans la forêt déserte, sur un tronc tortueux, pour donner quelque relâche à mes pieds déchirés, et qu’à la faveur de la clarté crépusculaire, je m’endorme d’un sommeil fatigant !… 0 Wilhelm, l’asile solitaire d’une cellule, la haire et le cilice, seraient des soulagements après lesquels mon Ame soupire. Adieu. Je ne vois à cette .souffrance d’autre terme que le tombeau.

3 septembre.

Il faut que je parte. Je te remercie, Wilhelm, d’avoir fixé ma résolution chancelante. Voilà déjà quinze jours que’je nourris la pensée de la quitter. Il faut que je parte. Elle est de nouveau à la ville, chez une amie ; et Albert…. et…. il faut que je parte.