Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/273

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n’est jamais content de lui-même, et qu’on ne réussit par conséquent jamais à contenter. J’aime à travailler couramment, et ce qui est écrit est écrit ; il est homme à me rendre un mémoire el âme dire : « C’est bien, mais revoyez-le : on trouve toujours une expression meilleure, une particule plus juste. » Alors je me donnerais au diable de bon cœur. Pasjun et, pas une conjonction n’y doit manquer ; il est l’ennemi mortel de toutes les inversions qui m’échappent quelquefois ; si l’on n’a pas cadencé la période selon le rhythme traditionnel, il ne s’y reconnaît plus. C’est un supplice d’avoir affaire à un tel homme.

La conliance du comte de G. est la seule chose qui me dédommage encore. Il me disait dernièrement, avec une parfaite franchise, combien lui déplaisaient la lenteur et l’esprit minutieux de mon ambassadeur. « Ces gens-là sont à charge à euxmêmes et aux autres, disait-il : il faut s’y résigner, comme un voyageur qui doit franchir une montagne. Sans doute, si la montagne n’était pas là, le chemin serait beaucoup plus commode et plus court ; mais elle est là, et il faut la franchir !… »

Mon vieux s’aperçoit fort bien de la préférence que le comte me donne sur lui : cela le fâche, et il saisit toutes les occasions de clabauder sur ce seigneur en ma présence. Naturellement, je riposte, et l’affaire s’envenime. Hier il me mit hors des gonds, car il m’avait aussi en vue : « Le comte, disait-il, entend parfaitement bien les affaires du monde ; il a le travail très-facile et il écrit bien, mais il manque, de connaissances solides, comme tous les beaux esprits. * Là dessus il fit une mine qui voula.’t dire . * Sens-tu le trait ? » Mais il ne produisit sur moi aucun effet. Je méprisai l’homme qui pouvait penser et se conduire ainsi. Je lui résistai et je luttai d’une manière assez vive. Je dis que le comte était un homme digne de respect, non-seulement par son caractère, mais aussi par ses connaissances, * Je n’ai rencontré personne, ajoutai-je, qui ait aussi bien réussi à développer son esprit, à le déployer sur une multitude d’objets, et à conserver néanmoins cette activité pour la vie ordinaire. » C’était là pour mon sot de l’hébreu tout pur, et je lui tirai ma révérence, pour ne plus me faire de la bile à l’entendre déraisonner davantage.

Et c’est votre faute à vous tous, qui m’avez mis sous le joug