Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/284

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9 mai.

J’ai fait ma visite au lieu natal avec toute la piété d’un pèlerin, et bien des sentiments inattendus m’ont saisi. Je fis arrêter près du grand tilleul qui se trouve à un quart de lieue de la ville du côté de S… ; je quittai la voiture, et je l’envoyai en avant, afin de cheminer à pied et de savourer à mon gré chaque souvenir, dans toute sa vie et sa nouveauté. Je m’arrêtai sous le tilleul, qui avait été, dans mon enfance, le but et le terme de mes promenades. Quelle différence ! Alors, dans une heureuse ignorance, je m’élançais avec ardeur vers ce monde inconnu, où j’espérais pour mon cœur tant de nourriture, tant de jouissances, qui devaient combler et satisfaire l’ardeur de mes désirs. Maintenant, j’en reviens de ce vaste monde…. O mon ami, avec combien d’espérances déçues, avec combien de plans renversés !… Les voilà devant moi les montagnes qui mille fois avaient été l’objet de mes vœux. Je pouvais rester des heures assis à cette place, aspirant à franchir ces hauteurs, égarant ma pensée au sein des bois et des vallons, qui s’offraient à mes yeux dans un gracieux crépuscule, et, lorsqu’au moment fixé il me fallait revenir, avec quel regret ne quittais-je pas cette place chérie !… J’approchai de la ville : je saluai tous les anciens pavillons de jardin ; les nouveaux me déplurent, comme tous les changements qu’on avait faits. Je franchis la porte de la ville, et d’abord je me retrouvai tout à fait. Mon ami, je ne veux pas m’arrêter au détail : autant il eut de charme pour moi, autant il serait monotone dans le récit. J’avais résolu de me loger sur la place, tout à côté de notre ancienne maison. Je remarquai, sur mon passage, que la chambre d’école, où une bonne vieille femme avait parqué notre enfance, s’était transformée en une boutique de détail. Je me rappelai l’inquiétude, les chagrins, l’étourdissement, l’angoisse que j’avais endurés dans ce trou…. Je ne pouvais faire un pas qui ne m’offrît quelque chose de remarquable. Un pèlerin ne trouve pas en terre sainte autant de places consacrées par de religieux souvenirs, et je doute que son