Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/291

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domestique, au sujet duquel on la disait aussi brouillée avec son frère, et l’on assurait qu’elle devait l’épouser : mais il était, lui, fermement résolu à ne pas souffrir la chose de son vivant.

Cette histoire n’est point exagérée, point embellie ; je puis dire même que je l’ai racontée faiblement, très-faiblement, et qu’elle a perdu de sa délicatesse, parce que je l’ai rapportée avec nos formes de langage usuelles et réservées.

Cet amour, cette fidélité, cette passion, n’est donc pas une fiction poétique ; elle vit, elle existe, dans sa parfaite pureté, parmi cette classe d’hommes que nous appelons incultes et grossiers, nous autres gens polis, polis jusqu’à n’être plus rien. Lis cette histoire avec recueillement, je t’en prie. Je suis calme aujourd’hui en t’écrivant ces choses ; tu le vois à mon écriture, je ne me presse ni ne barbouille comme d’ordinaire. Lis, mon cher Wilhelm, et songe bien que c’est aussi l’histoire de ton ami. Oui, voilà ce qui m’est arrivé, voilà ce qui m’arrivera, et je ne suis pas de moitié aussi courageux,, aussi résolu que ce pauvre malheureux, auquel j’ose à œine me comparer.

5 septembre.

Elle avait écrit un petit billet à son mari, qui était à la campagne, où des affaires le retenaient. Le billet commençait ainsi : « Cher, très-cher ami, reviens aussitôt que tu pourras ; je t’attends avec mille joies…. » Un ami, qui survint, apporta la nouvelle que certaines circonstances empêcheraient Albert de revenir de sitôt. Le billet resta sur la table, et, le soir, il me tomba dans les mains. Je le lus et je souris. Elle me demanda pourquoi…. * Q’ue l’imagination est un présent divin ! m’écriai-je ; j’ai pu me figurer un moment que cela m’était adressée. » Elle brisa là-dessus ; cela parut lui déplaire, et je me tus.