Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/301

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ne disais rien, et elle m’a regardé. Et je ne voyais plus en elle la beauté charmante, je ne voyais plus la lumière de la noble intelligence ; tout cela s’était évanoui devant mes yeux : un regard bien plus admirable encore agissait sur moi ; il était plein de l’intérêt le plus tendre, de la plus douce pitié. Pourquoi n’osai-je pas tomber à ses pieds ? Pourquoi n’osai-je pas me jeter à son cou et lui répondre par mille baisers ? Elle s’est réfugiée au clavecin, et, d’une voix douce et légère, elle unissait à son jeu des notes harmonieuses. Jamais je n’avais vu ses lèvres aussi séduisantes ; on eût dit qu’elles s’ouvraient avec ardeur pour boire les doux sons qui coulaient de l’instrument, et auxquels sa bouche pure répondait seulement comme un écho • céleste…. Oui, si je pouvais te le dire…. Je n’ai pas résisté plus longtemps, je me suis incliné et j’en ai fait le serment. Jamais je n’oserai imprimer sur vous un baiser, ô lèvres, sur lesquelles voltigent les esprits du ciel. Et pourtant…. je veux…. Ah ! vois-tu, c’est comme un mur de séparation devant mon âme…. Cette félicité…. et puis mourir pour expier cette faute !… Une faute ?

26 novembre.

Quelquefois je me dis : « Ta destinée est unique : estime les autres heureux…. Personne encore ne fut tourmenté comme toi. » Ensuite je lis un ancien poète, et il me semble voir dans mon propre cœur. J’ai tant à souffrir ! Hélas ! il y eut donc avant moi des hommes aussi malheureux !

30 novembre.

Jamais, non jamais je ne reviendrai à moi-même. Où que je porte mes pas, une apparition se présente, qui me met hors de moi. Aujourd’hui…. ô destinée !… pauvre humanité !

J’étais allé à la fontaine vers midi : je n’avais aucune envie de me mettre à table. Tout semblait désert ; un vent d’ouest ; humide et froid, soufflait de la montagne, et des nuages grisâ-