Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/330

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oppressé, déchiré au fond de l’âme, mais sans savoir ce qui m’était arrivé…. ce qui m’arrivera…. La mort ! La tombe ! Je n’entends pas ces mots.

« Oh ! pardonne-moi ! pardonne-moi ! Hier !… Ce devait être le dernier moment de ma vie. 0 mon ange, pour la première fois, pour la première fois, et sans aucun doute, il a pénétré, embrasé mon cœur, ce délicieux sentiment : elle m’aime ! elle m’aime ! Il brûle encore sur mes lèvres, le feu sacré qui coulait des tiennes par torrents ; une nouvelle, une ardente ivresse est dans mon cœur. Pardonne-moi ! pardonne-moi !

« Ah ! je le savais bien que tu m’aimais ; je le savais, à tes premiers regards, où se montrait ton âme, à ton premier serrement de main ; et pourtant, quand je t’avais quittée, quand je voyais Albert à tes côtés, je retombais dans mes doutes fiévreux.

« Te souvient-il des fleurs que tu m’envoyas, dans cette maudite assemblée où tu ne pus me dire un seul mot ni me toucher la main ? Ah ! je passai la moitié de la nuit à genoux devant elles, et elles furent pour moi le sceau de ton amour. Mais, hélas ! ces impressions passaient, comme s’efface peu à peu dans l’âme du fidèle le sentiment de la grâce de son Dieu, qu’il a reçue, avec une plénitude céleste, dans des signes visibles et sacrés.

« Tout cela est passager, mais l’éternité même ne saurait éteindre la flamme de vie que je recueillis hier sur tes lèvres et que je sens en moi. Elle m’aime ! Ce bras l’a pressée, ces lèvres ont tremblé sur ses lèvres ; cette bouche a balbutié sur la sienne. Elle est à moi ! Tu es à moi, Charlotte, pour toujours !

« Et qu’importé qu’Albert soit ton mari ? Ton mari ! C’est bon pour ce monde…. et pour ce monde, le péché de t’aimer, de vouloir te ravir de ses bras. Le péché ! Soit ! Je m’en punis. Je l’ai savouré, ce péché, dans toute sa volupté céleste ; j’ai puisé pour mon cœur le baume et la force de la vie. Dès ce moment, tu es à moi, à moi, Charlotte. Je te précède, je vais vers mon père, vers ton père. Je me plaindrai à lui, il me consolera, en attendant que tu viennes, et je volerai au-devant de toi, et je te prendrai, et je resterai auprès de toi, devant la face de l’Infini, dans des embrassernents éternels.