Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/104

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savons, prêté ses bons offices, les jeunes époux avaient cherché en plusieurs lieux un engagement, sans en trouver aucun ; enfin on leur avait indiqué cette petite ville, où quelques personnes, qu’ils avaient rencontrées en chemin, prétendaient avoir vu un bon théâtre.

Quand ils eurent fait connaissance, Philine ne goûta nullement Mme Mélina, ni le vif Laërtes son mari. Ils désiraient se voir bien vite délivrés des nouveaux venus, et Wilhelm ne put leur inspirer des sentiments plus favorables, quoiqu’il ne cessât de leur protester que c’étaient de très-bonnes gens.

À vrai dire, la joyeuse vie de nos trois aventuriers était troublée, de plus d’une manière, par l’augmentation de la société : car Mélina, qui avait trouvé place dans l’auberge de Philine, commença d’abord à gronder et marchander. Il voulait avoir, pour peu d’argent, de meilleures chambres, des repas plus copieux et un service plus prompt. L’aubergiste et le garçon ne tardèrent pas à faire piteuse mine, et, tandis que les trois amis, pour vivre gaiement, se contentaient de tout, et payaient vite, afin de ne plus songer à ce qui était consommé, il fallait chaque fois récapituler, tout entier, le repas, que Mélina vérifiait aussitôt régulièrement, en sorte que Philine l’appelait sans façon un animal ruminant.

Madame était encore plus odieuse à la rusée comédienne. Cette jeune femme n’était pas sans éducation, mais ce qui lui manquait tout à fait, c’était l’âme et l’esprit. Elle ne déclamait pas mal et voulait toujours déclamer ; mais on observait bientôt que ce n’était qu’une éloquence de mots, qui appuyait sur certains endroits, et n’exprimait pas le sentiment de l’ensemble. Avec tout cela, elle n’était point désagréable, surtout aux hommes. Même, ceux qui étaient liés avec elle lui attribuaient une belle intelligence. C’est qu’elle était, j’oserais dire, une enjôleuse sentimentale : elle savait flatter, par une attention particulière, un ami dont elle avait besoin de gagner l’estime ; elle entrait dans ses idées aussi avant que possible, et, dès qu’elles dépassaient sa portée, elle accueillait avec extase cette apparition nouvelle. Elle savait parler et se taire, et, sans avoir le cœur perfide, épier soigneusement le côté faible de chacun.