Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée



— Nullement, ou du moins d’une manière très-insuffisante. Qu’on n’imagine pas en effet qu’il soit possible d’effacer les premières impressions de la jeunesse. L’enfant a-t-il grandi dans une sage liberté, entouré d’objets nobles et beaux, dans la société d’hommes distingués ; ses maîtres lui ont-ils enseigné ce qu’il devait savoir d’abord, afin de comprendre le reste plus facilement ; a-t-il appris ce qu’il n’aura jamais besoin de désapprendre : ses premières actions ont-elles été dirigées de telle sorte qu’il puisse à l’avenir faire le bien avec moins d’efforts et de peine, sans avoir à se défaire d’aucune mauvaise habitude : un tel homme passera une vie plus pure, plus complète et plus heureuse qu’un autre, qui aura consumé dans la lutte et l’erreur les forces de sa jeunesse. On parle et l’on écrit beaucoup sur l’éducation, et je vois bien peu d’hommes capables de saisir et de mettre en pratique la simple et grande idée qui embrasse tout le reste.

— Cela peut bien être, dit Wilhelm, car tout homme est assez borné pour vouloir former les autres à son image. Heureux, par conséquent, ceux dont le destin se charge, lui qui forme les gens à sa manière !

— Le destin, répliqua l’inconnu en souriant, est un maître excellent, mais qui fait payer cher ses leçons. Je m’en tiendrais toujours plus volontiers à la raison et aux leçons d’un homme. Le destin, dont la sagesse m’inspire un profond respect, me semble avoir dans le hasard, par le moyen duquel il agit, un serviteur très-malhabile : il est rare que l’un exécute purement et simplement ce que l’autre avait résolu.

— Vous exprimez là une idée fort singulière !

— Nullement ! La plupart des choses qui arrivent dans le monde justifient mon opinion. Une foule d’événements n’annoncent-ils pas d’abord une grande pensée, et ne finissent-ils pas le plus souvent par quelque fadaise ?

— Vous voulez rire !

— Et n’est-ce pas aussi ce qui arrive à chaque individu ? Supposons que le destin eût appelé quelqu’un à devenir un grand comédien (et pourquoi ne nous pourvoirait-il pas aussi de bons comédiens ? ), mais que, par malheur, le hasard conduisît l’enfant dans un théâtre de marionnettes, où, dès son premier âge,