Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/130

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où je me trouve, je laisse peut-être voir trop d’inquiétude : le souci que j’ai pour une femme, bientôt peut-être pour un enfant, m’empêche de vivre tranquillement au jour le jour, et de passer mon temps dans la jouissance de sensations agréables, comme cela vous est encore permis. Veuillez y réfléchir, et, s’il vous est possible, mettez-moi en possession du mobilier théâtral qui se trouve ici : je ne serai pas longtemps votre débiteur, et je vous serai éternellement obligé. »

Wilhelm, fâché de se voir arrêté sur le seuil, qu’un penchant irrésistible le portait alors à franchir, pour joindre Philine, dit, avec une distraction soudaine et une bienveillance précipitée :

«  Si je puis vous rendre par là heureux et content, je ne veux pas balancer davantage. Allez, arrangez tout ; je suis prêt à payer ce soir même ou demain matin. »

Là-dessus il tendit la main à Mélina, pour gage de sa promesse, et fut très-satisfait de le voir s’éloigner promptement. Par malheur, un nouvel obstacle, plus désagréable que le premier, l’empêcha de pénétrer dans la maison.

Un jeune garçon, la valise sur le dos, arrivait à la hâte et s’approcha de Wilhelm, qui reconnut d’abord le petit Frédéric.

«  Me revoici ! s’écria-t-il, en promenant avec joie ses yeux bleus de tous côtés et à toutes les fenêtres. Où est mademoiselle ? Qui diable pourrait durer plus longtemps au monde sans la voir ? »

L’aubergiste, qui venait de s’approcher, répondit : « Elle est là-haut. » En quelques sauts, Frédéric eut franchi l’escalier, et Wilhelm resta sur le seuil, comme pétrifié. Au premier moment, il aurait pris le jeune drôle par les cheveux, pour lui faire dégringoler l’escalier ; mais l’accès violent d’une furieuse jalousie suspendit tout à coup le cours de ses esprits et de ses idées, et, lorsqu’il se fut remis peu à peu de sa stupeur, il fut saisi d’une inquiétude, d’un malaise, tel qu’il n’en avait éprouvé de sa vie.

Il entra chez lui et trouva Mignon occupée à écrire. L’enfant s’était exercée depuis quelque temps, avec une grande application, à écrire tout ce qu’elle savait par cœur, et l’avait donné à corriger à son maître et son ami. Elle était infatigable et comprenait bien, mais les lettres étaient toujours inégales et les lignes irrégulières. Ici, comme toujours, son corps semblait en lutte