Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/149

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plus particulière des grands et des riches lui serait très-avantageuse. Il fit ses réflexions sur le comte, la comtesse, le baron, sur la facilité, la sûreté et l’agrément de leurs manières, et, lorsqu’il fut seul, il s’écria avec enthousiasme :

«  Heureux, trois fois heureux, ceux qui sont élevés tout d’abord par leur naissance au-dessus des autres classes de la société ; qui n’ont pas besoin de traverser, de subir, même passagèrement, comme des hôtes, ces situations difficiles dans lesquelles tant d’hommes distingués se débattent tout le temps de leur vie ! Dans la position élevée qu’ils occupent, leur coup d’œil doit être vaste et sûr, et facile chaque pas de leur vie. Ils sont, dès leur naissance, comme placés dans un navire, afin que, dans la traversée imposée à tout le monde, ils profitent du vent favorable et laissent passer le vent contraire, tandis que les autres hommes, lancés à la nage, se consument en efforts, profitent peu du vent favorable, et, dans la tempête, périssent, après avoir bientôt épuisé leurs forces. Quelle aisance, quelle facilité, ne donne pas un riche patrimoine ! Comme il est sûr de fleurir, le commerce fondé sur un bon capital, en sorte que toute entreprise malheureuse ne jette pas d’abord dans l’inactivité ! Qui peut mieux apprécier ce que valent ou ne valent pas les biens terrestres, que celui auquel il fut donné de les goûter dès son enfance ? et qui peut diriger plus tôt son esprit vers le nécessaire, l’utile, le vrai, que l’homme qui peut se détromper de tant d’erreurs, dans un âge où les forces ne lui manquent pas pour commencer une vie nouvelle ? »

C’est ainsi que notre ami proclamait heureux tous ceux qui se trouvent dans les régions supérieures, et ceux aussi qui peuvent approcher de cette sphère, puiser à ces sources ; et il bénissait son bon génie, qui se préparait à lui faire aussi franchir ces degrés.

Cependant Mélina, après s’être longtemps rompu la tête pour chercher, selon le vœu du comte et sa propre conviction, à diviser sa troupe en spécialités, et assigner à chacun un emploi déterminé, dut s’estimer très-heureux, lorsqu’on en vint à l’exécution, que ses acteurs, si peu nombreux, fussent disposés à se charger de tels ou tels rôles, selon leur aptitude. Toutefois Laërtes jouait d’ordinaire les amoureux, Philine les soubrettes ;