Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/172

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baronne l’auraient cette fois enchaîné, si le baron ne lui avait rendu, par hasard, le bon ou, si l’on veut, le mauvais service de l’éclairer sur les sentiments de cette dame.

En effet, comme Laërtes célébrait un jour ses louanges, et la mettait au-dessus de toutes les personnes de son sexe, le baron lui dit, d’un ton badin :

«  Je vois où nous en sommes : notre chère amie a conquis un nouvel hôte pour ses étables. »

Cette comparaison malheureuse, qui faisait une allusion trop claire aux dangereuses caresses d’une Circé, fâcha Laërtes outre mesure, et il ne put entendre sans colère le baron, qui poursuivit impitoyablement :

«  Tout étranger croit être le premier à qui elle se montre si favorable, mais il se trompe grossièrement, car elle nous a tous promenés par ce chemin : hommes faits, jeunes gens, tendres adolescents, tous, quels qu’ils soient, doivent se dévouer quelque temps à son service, porter sa chaîne et soupirer pour elle. »

L’heureux mortel qui, à son entrée dans les jardins d’une enchanteresse, est accueilli par les délices d’un fallacieux printemps, ne peut éprouver une surprise plus désagréable que d’entendre, au moment où son oreille épiait le chant du rossignol, le grognement soudain de quelque devancier métamorphosé. Après cette révélation, Laërtes se sentit sincèrement humilié, que sa vanité l’eût entraîné encore une fois à penser d’une femme quelconque le moindre bien. Dès lors il négligea tout à fait la baronne et s’en tint à l’écuyer, avec lequel il faisait assidûment des armes et allait à la chasse, se comportant d’ailleurs, dans les répétitions et les représentations, comme si ce fût une chose accessoire.

Le comte et la comtesse faisaient parfois appeler, le matin, quelques personnes de la troupe, et chacun y trouvait toujours sujet d’envier la trop heureuse Philine. Le comte avait souvent à sa toilette, pendant des heures entières, le pédant, son favori. Cet homme fut, peu à peu, habillé de neuf, et se vit même pourvu d’une montre et d’une tabatière.

Quelquefois aussi les comédiens étaient appelés, ensemble ou séparément, devant Leurs Seigneuries, après le repas. Ils tenaient