Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’animèrent et racontèrent cent histoires plaisantes. L’un d’eux, qu’on avait employé quelque temps au recrutement, ne pouvait assez vanter l’adresse et l’activité de son capitaine, qui savait attirer à lui toute espèce d’hommes et attraper chacun à sa manière. Il racontait avec détail comment des gens de bonne maison et d’une éducation soignée étaient abusés, par mille fausses promesses d’un honnête établissement ; il riait de bon cœur des imbéciles, qui étaient d’abord si flattés de se voir estimés et distingués par un officier considérable, brave, habile et libéral.

Comme Wilhelm rendit grâces à son bon génie, qui lui découvrait inopinément l’abîme au bord duquel il s’était innocemment avancé ! Il ne voyait plus dans Jarno qu’un recruteur ; l’embrassade de l’officier étranger s’expliquait aisément. Il détestait les maximes de ces hommes, et, dès ce moment, il évita de se rencontrer avec quiconque portait l’uniforme. Il aurait appris avec joie la nouvelle que l’armée marchait en avant, s’il n’avait pas dû craindre en même temps de se voir éloigné, peut-être pour toujours, de sa belle comtesse.

Chapitre XII

La baronne avait passé plusieurs jours, tourmentée par l’inquiétude et par une curiosité qu’elle ne pouvait satisfaire. La conduite du comte, depuis son aventure, était pour elle une énigme complète. Il était absolument sorti de ses habitudes ; on n’entendait plus ses plaisanteries accoutumées ; ses exigences avec la société et avec les domestiques avaient beaucoup diminué ; la pédanterie, les manières impérieuses avaient presque disparu ; il était plutôt silencieux et rêveur, et pourtant il montrait de la sérénité ; il semblait vraiment un autre homme.