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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/194

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t-elle, en posant la main sur le cœur de la comtesse, une autre image ne se serait-elle point glissée dans cette retraite ?

— Tu es bien téméraire, Philine ! s’écria la comtesse. Je t’ai gâtée. Que je n’entende pas une seconde fois de semblables propos !

— Si vous êtes fâchée, je suis bien malheureuse ! » dit Philine, en se levant et s’élançant hors de la chambre.

Wilhelm tenait encore cette main si belle dans les siennes ; il avait les yeux fixés sur le bracelet, et, à sa grande surprise, il y remarqua son chiffre tracé en brillants.

«  Est-ce réellement de vos cheveux, dit-il avec modestie, que je possède dans ce précieux anneau ?

— Oui, » répondit-elle à demi-voix, puis elle fit un effort sur elle-même, et dit en lui donnant la main : « Levez-vous ! Adieu !…

— Voilà mon nom, par la plus merveilleuse rencontre ! s’écria-t-il en indiquant le bracelet.

— Comment ! dit la comtesse ; c’est le chiffre d’une amie !

— Ce sont les initiales de mon nom. Ne m’oubliez pas ! Votre image ne s’effacera jamais de mon cœur. Adieu ! laissez-moi fuir. »

Il lui baisa la main et voulut se lever ; mais, comme dans un songe les prodiges naissent des prodiges pour nous surprendre, sans savoir comment la chose s’était faite, il tenait la comtesse dans ses bras ; leurs lèvres se rencontrèrent, et les baisers de flamme qu’ils échangeaient leur firent goûter la félicité qu’on ne puise qu’une fois dans l’écume frémissante de la coupe d’amour, à l’instant qu’elle est remplie. La tête de la comtesse reposait sur l’épaule de Wilhelm ; les boucles, les rubans froissés, elle n’y songeait pas ; elle l’entourait de son bras ; il la pressait dans les siens avec ardeur, et la serra plusieurs fois contre sa poitrine. Oh ! qu’un semblable moment ne peut-il être éternel ! Soit maudite la destinée jalouse, qui vint même abréger pour nos amants ces instants si courts !

Avec quel effroi, quel étourdissement, Wilhelm se réveilla de cet heureux songe, lorsqu’il vit la comtesse s’arracher de ses bras, en poussant un cri et portant la main sur son cœur.

Il restait éperdu devant elle ; elle avait posé son autre main sur ses yeux, et, après un instant de silence, elle s’écria :

«  Éloignez-