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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/20

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même, en idée, tantôt David, tantôt Goliath. Dans tous les coins de la maison, des cours, du jardin, et dans toutes les situations, j’étudiais en moi-même la pièce entière ; je faisais tous les rôles et les apprenais par cœur ; seulement je me mettais, le plus souvent, à la place des principaux personnages, et je faisais courir les autres à leur suite, dans ma mémoire, comme d’humbles satellites. Les magnanimes paroles par lesquelles David provoquait l’orgueilleux géant Goliath étaient jour et nuit présentes à ma pensée ; je les récitais souvent à demi-voix : personne n’y prenait garde que mon père, qui observait quelquefois ces exclamations, et admirait en lui-même l’heureuse mémoire de son fils, qui, en si peu de temps, avait pu retenir tant de choses.

«  Par là je m’enhardis toujours davantage, et je récitai un soir, devant ma mère, la plus grande partie de la pièce, en même temps que je me fabriquais des acteurs avec quelques petits morceaux de cire. Elle m’observa, me pressa de questions, et j’avouai tout.

«  Heureusement cette découverte arriva dans le temps où le lieutenant venait d’exprimer lui-même le désir de m’initier à ces mystères. Ma mère l’informa aussitôt des talents inattendus de son fils, et il sut se faire abandonner deux chambres hautes, d’ordinaire inhabitées, dont l’une serait pour le public, l’autre pour les acteurs, la scène occupant toujours l’ouverture de la porte. Mon père avait permis à son ami d’arranger tout cela ; lui-même il semblait ne pas y prendre garde, d’après le principe qu’on ne doit pas laisser voir aux enfants combien on les aime, parce qu’ils prennent toujours trop de libertés. Il pensait qu’on doit paraître sérieux au milieu de leurs plaisirs et les troubler quelquefois, afin que leur joie ne les rende pas insatiables et insolents. »