Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

petits ; ils ne peuvent s’en passer ; elles sont leur gloire. Celui qui peut se racheter aisément est si aisément porté à se dispenser de la reconnaissance ! Oui, dans ce sens, j’oserais affirmer qu’un grand peut bien avoir des amis, mais qu’il ne peut être l’ami de personne. »

Mignon se serrait toujours plus fortement contre Wilhelm.

«  A la bonne heure ! dit quelqu’un de la troupe ; nous n’avons pas besoin de leur amitié, et nous ne l’avons jamais réclamée : mais ils devraient mieux connaître les arts, qu’ils prétendent protéger. Quand nous avons le mieux joué, personne ne nous a écoutés. Tout n’était que cabale. Celui-là plaisait, auquel on était favorable, et on ne l’était pas à celui qui méritait de plaire. C’était révoltant de voir comme souvent la sottise et la platitude attiraient l’attention et les applaudissements.

— Si je mets à part, répondit Wilhelm, ce qui n’était peut-être que de l’ironie et de la malignité, il en est, je crois, des beaux-arts comme de l’amour. Comment l’homme du monde peut-il, au milieu de sa vie dissipée, conserver la vivacité de sentiment qu’un artiste doit nourrir sans cesse, s’il veut produire quelque chose de parfait, et qui ne doit pas être non plus étrangère à celui qui veut que l’ouvrage fasse sur lui l’impression que l’artiste espère et souhaite ? Croyez-moi, mes amis, il en est des talents comme de la vertu.Il faut les aimer pour eux-mêmes ou bien y renoncer tout à fait ; et pourtant les talents et la vertu ne sont reconnus et récompensés qu’autant que l’on peut, comme un dangereux mystère, les pratiquer en secret.

— Mais, en attendant qu’un connaisseur nous découvre, nous pouvons mourir de faim, s’écria de son coin une des personnes de la troupe.

— Pas si vite, répliqua Wilhelm : croyez-moi, aussi longtemps qu’un homme vit et se remue, il trouve sa nourriture, quand même elle ne serait pas d’abord des plus abondantes. Et de quoi donc avez-vous à vous plaindre ? Au moment où nos affaires avaient la plus fâcheuse apparence, n’avons-nous pas été accueillis, hébergés à l’improviste ? Et maintenant, que nous ne manquons de rien encore, nous vient-il à l’esprit d’entreprendre quelque chose pour nous exercer et de chercher seulement à faire quelques progrès ? Nous nous occupons de choses