Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/25

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Chapitre VII

« Les jeux de mes camarades, dont le nombre commençait à s’accroître, firent tort à mon plaisir solitaire et tranquille. J’étais tour à tour chasseur, soldat, cavalier, selon que nos jeux le demandaient ; mais j’avais toujours sur les autres un petit avantage, en ce que je savais leur composer adroitement l’attirail nécessaire. Ainsi les épées étaient le plus souvent de ma fabrique ; je décorais et je dorais les traîneaux, et un instinct secret ne me laissa point de repos, que je n’eusse équipé notre milice à l’antique. On fabriqua des casques ornés d’aigrettes de papier, on fit des boucliers et même des cuirasses, travaux pour lesquels les domestiques de la maison, qui étaient un peu tailleurs, et les couturières, cassèrent plus d’une aiguille.

« Je vis alors une partie de mes camarades bien équipés ; les autres le furent aussi peu à peu, mais d’une façon plus modeste, et l’ensemble formait un corps imposant. On manœuvrait dans les cours et les jardins ; on frappait bravement sur les boucliers et sur les têtes : il s’ensuivait mainte querelle, qui était bientôt apaisée.

Ce jeu, qui amusait beaucoup les autres, fut à peine répété quelquefois, qu’il cessa de me contenter. La vue de tous ces porteurs de cuirasses devait nécessairement éveiller en moi les idées de chevalerie, dont j’avais la tête remplie, depuis que je m’étais mis à lire les vieux romans.

La Jérusalem délivrée, dont une traduction (celle de Koppen) m’était tombée dans les mains, donna enfin une direction fixe à mes idées vagabondes. Je ne pus, il est vrai, lire le poème tout entier, mais il y avait des endroits que je savais par cœur et dont l’idée