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250 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

malade ; ses forces diminuaient visiblement les soins que je pris de lui me tirèrent de mon indifférence. Dans ce temps-là, je formai une liaison avec laquelle commença pour moi une nouvelle vie, nouvelle et moins durable encore, car elle n’est pas loin de finir.

Aurélie se tut quelques moments, puis elle reprit

Mon caprice bavard fait une pause soudaine, et je n’ai pas le courage de poursuivre. Laissez-moi prendre un moment de repos. Vous ne sortirez pas d’ici sans connaître tout le détail de mes malheurs. Appelez Mignon, et sachez ce qu’elle désire. » Pendant le récit d’Aurélie, Mignon avait paru quelquefois dans la chambre, et, comme à son entrée on parlait plus bas, elle s’était doucement retirée dans la pièce voisine, où elle attendait sans bruit. Quand on l’appela, elle parut, tenant un livre, qu’à la forme et à la reliure, on pouvait prendre pour un petit atlas de géographie. Pendant son séjour au presbytère, elle avait vu, pour la première fois, avec une grande admiration, des cartes géographiques ; elle avait fait là-dessus beaucoup de questions au pasteur, et appris tout ce qu’elle avait pu. Ces nouvelles connaissances paraissaient avoir rendu plus vif que jamais son désir de s’instruire. Elle pria instamment Wilhelm de lui acheter ce livre elle avait laissé en gage au libraire ses grandes boucles d’argent, et désirait, la soirée étant déjà fort avancée, les retirer le lendemain matin. Wilhelm lui accorda ce qu’elle demandait. Alors elle se mit à débiter ce qu’elle savait, puis elle fit, a sa manière, les plus bizarres questions. On put observer de nouveau que, malgré sa grande application, elle ne comprenait qu’avec effort et difficulté il en était de même pour l’écriture, dont elle s’occupait avec beaucoup de zèle ; son langage était toujours très-défectueux : mais, lorsqu’elle se mettait à chanter, lorsqu’elle faisait vibrer les cordes de sa guitare, elle semblait se servir du seul organe qu’elle possédât, pour épancher et communiquer ses sentiments. Puisque nous en sommes venus a parler d’elle, nous devons aussi faire mention de l’embarras ou depuis quelque temps, elle mettait notre ami. Lorsqu’elle arrivait ou s’en allait, qu’elle lui souhaitait le bonjour ou le bonsoir, elle le serrait si fort dans ses bras et son haiser était si plein de {lamine, que l’ar