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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/256

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252 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

« Il voyait peu de monde a la ville, montait beaucoup a cheval, visitait les nombreuses connaissances qu’il avait à la campagne, et soignait les affaires de sa maison. A son retour, il descendait chez moi, entourait de soins affectueux mon mari, toujours plus malade ; il soulagea ses souffrances par le secours d’un habile médecin ; et, comme il s’intéressait à toutes mes affaires, il sut m’intéresser aussi à sa destinée. Il me parlait de ses campagnes, de son irrésistible penchant pour la vie militaire, de sa famille ; il me faisait part de ses occupations présentes ; enfin il n’avait rien de caché pour moi ; il me développait ses plus intimes pensées, laissait mon regard pénétrer dans les plus secrets replis de son cœur ; j’appris à connaître ses talents, ses passions. C’était la première fois de ma vie que je jouissais de la société d’un homme aimable et sincère. Je fus attirée, entrainée, avant d’avoir pu me reconnaître.

« Sur ces entrefaites, je perdis mon mari, à peu près comme je l’avais épousé. Le fardeau des affaires du théâtre retomba sur moi ; mon frère, parfait sur la scène, n’était bon à rien dans l’administration. Je veillais tout, et cependant j’étudiais mes rôles avec plus d’ardeur que jamais. Je jouais de nouveau comme autrefois, ou plutôt avec une tout autre force et une vie nouvelle. C’était par lui et pour lui ; cependant mon jeu laissait souvent à désirer, quand je savais mon noble ami dans la salle ; mais quelquefois il m’écoutait à la dérobée, et vous pouvez juger combien son suffrage inattendu me surprenait agréablement.

Certes, je suis une étrange créature dans chacun de mes rôles, il me semblait toujours que je faisais son éloge et célébrais sa gloire ; c’était la disposition de mon cœur, quel que fut le sens des paroles. Si je le savais parmi les spectateurs, je n’osais parler avec toute mon énergie, comme si je n’avais pas voulu lui jeter au visage mon amour et mes louanges. S’il était absent, j’avais libre carrière, je faisais merveilles, avec une tranquille assurance, avec une satisfaction inexprimable. Je retrouvais du charme aux applaudissements, et, quand le public prenait plaisir à m’entendre, j’aurais voulu m’écrier C’est à K lui que vous le devez «

Oui, comme par l’effet d’un prodige, mes rapports avec le