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390 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

il ne suffit pas de humer l’air. Quand je rencontre un homme dans le monde, je demande aussitôt « A quoi s’occupe-t-il ? comment et avec quelle suite ? La réponse décide pour toujours de l’intérêt que je prendrai lui.

Peut-être, mon cher oncle, êtes-vous trop sévère, et refusez-vous l’appui de votre main secourable à plus d’un honnête homme à qui vous pourriez être utile.

Faut-il en faire un reproche à l’homme qui si long-temps a travaillé inutilement sur eux et pour eux ? Combien ne souffrons-nous pas dans notre jeunesse, par ces gens qui croient nous inviter à une agréable partie de plaisir, quand ils nous promettent la société des Danaïdes et de Sisyphe ! Dieu soit loué, je me suis délivré d’eux, et, si par malheur il s’en montre quelqu’un dans ma société je cherche à l’écartcr le plus poliment que je puis ; car ce sont précisément ces gens-là qui font les plaintes les plus amères sur la confusion des affaires du monde, sur la futilité des sciences la légèreté des artistes, la nullité des poëtes et que sais-je encore ? Ils ne songent pas le moins du monde qu’eux-mêmes, et la foule qui leur ressemble, ne sauraient lire le livre qui serait écrit comme ils le demandent ; que la véritable poésie leur est étrangère, et qu’une belle œuvre d’art n’obtient leur suffrage j~u’à la faveur du préjugé. Mais laissons cela, car ce n’est pas le moment de faire des invectives et des plaintes.

Mon oncle attira mon intention sur divers tableaux qui décoraient la salle ; mes yeux s’arrêtèrent sur ceux qui avaient de la grâce ou dont le sujet était intéressant.

Au bout de quelques moments, il me dit

« Accordez aussi quelque attention au génie qui a produit ces ouvrages Les belles âmes se plaisent à voir le doigt de Dieu dans la nature pourquoi n’accorderaient-elles pas aussi quelque estime à la main de son imitateur ? »

Puis il me fit considérer quelques tableaux sans apparence, et tacha de me faire comprendre, qu’à proprement parler, l’histoire de l’art peut seule nous donner l’idée de la valeur et du mérite d’un ouvrage qu’il faut d’abord connaître les pénibles progrès du mécanisme et du métier, auxquels l’homme ingénieux a travaillé durant des siècles, pour concevoir com