Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/44

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se félicitant de voir un songe horrible s’évanouir devant la plus délicieuse réalité. »

La vieille chercha, comme elle put, à faire redescendre, avec le secours de sa prose, la poésie de Marianne dans le domaine de la vie ordinaire, et se servit pour cela du moyen qui réussit aux oiseleurs : c’est d’imiter de leur mieux, avec un appeau, le chant des oiseaux qu’ils désirent voir bientôt par troupes dans leur filet. Elle fit l’éloge de Wilhelm, vanta sa tournure, ses yeux, son amour. La pauvre fille l’écoutait avec plaisir : elle se leva, se laissa habiller et parut plus tranquille.

«  Mon enfant, ma chère, poursuivit Barbara, d’une voix caressante, je ne veux ni t’affliger ni t’offenser ; je ne songe pas à te ravir ton bonheur. Peux-tu méconnaître mes intentions ? As-tu donc oublié que je me suis toujours plus inquiétée de toi que de moi-même ? Dis-moi seulement ce que tu veux : nous chercherons le moyen de te satisfaire.

— Que puis-je vouloir ? reprit Marianne. Je suis malheureuse, malheureuse pour toute ma vie. Je l’aime, il m’aime, je vois qu’il faut me séparer de lui, et ne sais pas comment je pourrai y survivre. Voici Norberg, à qui nous devons toute notre existence, et dont nous ne pouvons nous passer. Les ressources de Wilhelm sont très-bornées, il ne peut rien faire pour moi.

— Oui, il est malheureusement du nombre de ces amoureux qui n’apportent autre chose que leur cœur, et ce sont justement ceux-là qui ont les plus hautes prétentions.

— Ne raille pas ; le malheureux songe à quitter la maison paternelle, à monter sur le théâtre, à m’offrir sa main.

— Nous avons déjà quatre mains vides.

— Je ne sais que résoudre, poursuivit Marianne. Prononce ; pousse-moi d’un côté ou de l’autre, mais sache que je crois porter dans mon sein un gage qui devrait nous unir plus encore l’un à l’autre. Réfléchis et décide lequel je dois quitter, lequel je dois suivre. » Après un moment de silence, la vieille s’écria : « Faut-il que la jeunesse flotte sans cesse entre les extrêmes ! Je ne trouve rien de plus naturel que d’unir ensemble ce qui nous procure plaisir et profit. Tu aimes l’un, eh bien, que l’autre