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448 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

fant. L’homme qui connaît le monde, qui sait la tâche qu’il y doit remplir et ce qu’il peut espérer des autres, que peut-il désirer de mieux que de trouver une compagne qui le seconde en tout, qui sache tout préparer pour lui ; dont la vigilance se charge des détails, que la nôtre est forcée de négliger dont l’activité se déploie de toutes parts, tandis que la nôtre peut se porter en avant ? Quel paradis j’avais rêvé avec Thérèse’, \on pas le paradis d’une félicité romanesque, mais d’une vie sûre et pratique, l’ordre dans le bonheur, le courage dans l’adversité, le soin des plus petites choses et une âme capable d’embrasser les plus grandes et d’y renoncer. Ah je voyais chez elle ces talents dont nous admirons le développement dans les femmes que l’histoire nous fait connaître, qui nous paraissent de beaucoup supérieures à tous les hommes ; cette intelligence de la situation, cette adresse dans toutes les circonstances, cette sûreté dans les détails, qui est d’un si heureux effet pour l’ensemble, et qu’elles déploient sans paraître jamais y songer.

A ces mots, Lothaire, s’adressant à Wilhelm, lui dit avec un sourire

« Vous me pardonnez, je l’espère, d’avoir oublié Aurélie pour Thérèse avec l’une, je pouvais espérer une vie de bonheur avec l’autre, il ne fallait pas attendre une heure de repos. Je ne vous tairai pas, répondit Wilhelm, que je venais ici le cœur ulcéré contre vous, et que je m’étais promis de blâmer sévèrement votre conduite avec Aurélie.

Ma conduite fut blâmable, repartit Lothaire je n’aurais pas dû passer auprès d’elle de l’amitié à l’amour ; je n’aurais pas dû, à la place de l’estime qu’elle méritait, provoquer une inclination, qu’elle ne pouvait éveiller ni entretenir. Ah ! elle n’était pas aimable quand elle aimait, et c’est le plus grand malheur qui puisse arriver à une femme.

Soit ! reprit Wilhelm, nous ne pouvons pas toujours éviter les actions blâmables nous ne pouvons pas éviter que nos sentiments et nos actions ne soient singulièrement détournés de leur direction juste et naturelle mais il est certains devoirs que nous ne devons jamais perdre de vue. Que ta cendre de notre amie repose doucement ; sans nous quereller et la condamner, jetons avec pitié des fleurs sur sa tombe mais, auprès de la