Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/472

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

468 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

fort bien, Wilhelm n’osait encore s’abandonner à la joie ; il semblait se défier d’un présent que lui faisait un mauvais génie. « Le temps seul peut guérir vos doutes, lui dit la vieille, qui devinait ses sentiments. Regardez l’enfant comme étranger et observez-le avec plus de soin. Observez ses dons, son caractère, ses facultés, et, si vous ne vous reconnaissez pas vous-même insensiblement, vous n’avez pas de bons yeux ; car, je vous l’assure, si j’étais un homme, personne ne me mettrait sur les bras un enfant étranger. Mais il est heureux pour les femmes que les hommes ne soient pas là-dessus aussi clairvoyants. » Après ces explications, Wilhelm congédia Barbara. Son dessein était de prendre Félix avec lui ; Barbara conduirait Mignon chez Thérèse, et puis elle irait manger où bon lui semblerait la petite pension qu’il lui promit.

Il fit appeler Mignon, pour la préparer à ce changement. « Meister, lui dit-elle, garde-moi auprès de toi ce sera mon bien et mon mal. »

Il lui représenta qu’elle devenait grande et qu’elle avait besoin de s’instruire.

« Je suis assez instruite, reprit-elle, pour aimer et pleurer. II lui fit considérer sa santé, qui exigeait des soins soutenus et les directions d’un habile médecin.

«Pourquoi s’inquiéter de moi ? dit-elle on a tant d’autres soucis à prendre.

Wilhelm se donna beaucoup de peine pour lui persuader qu’il ne pouvait désormais la garder auprès de lui, qu’il la placerait chez des personnes où il irait la voir souvent ; mais elle parut n’avoir pas entendu un seul mot de tout cela.

<~ Tu ne me veux pas auprès de toi, dit-elle c’est peut-être le mieux. Envoie-moi près du vieux joueur de harpe ! Le pauvre homme est bien seul.* n

Wilhelm tacha de lui faire comprendre que le vieillard était fort bien soigné.

Je le regrette sans cesse, dit l’enfant.

Cependant je n’ai pas remarqué, reprit Wilhelm, que tu lui fusses si attachée quand il vivait avec nous.

II me faisait peur quand il était éveillé ; je ne pouvais soutenir son regard mais, lorsqu’il dormait, j’avais à m’asseoir