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506 LES AX~ËES D’APL’UKXTISSAtrE

propositions les plus bizarres. Une autre singularité, c’est que j’en vins difficilement et fort tard à considérer l’argent comme un moyen de satisfaire les besoins ; je faisais tous mes dons en nature, et je sais qu’on en riait parfois à mes dépens. L’abbé lui seul paraissait me comprendre ; je le trouvais partout ; il m’éclairait sur moi-même, sur mes penchants et mes vœux. et m’apprenait à les satisfaire sagement.

Avez-vous donc suivi, madame, les principes de ces hommes singuliers dans’ l’éducation de vos petits élèves ? Laissezvous chaque caractère se former de lui-même ? Laissez-vous ces jeunes filles chercher et s’égarer, se méprendre, puis atteindre heureusement le but ou se perdre misérablement dans l’erreur ? Non, répondit Nathalie ; cette manière de traiter les créatures humaines serait tout à fait contraire à mes sentiments. Celui qui n’aide pas dans l’instant même, je crois qu’il n’aidera jamais ; qui ne conseille pas dans le moment, ne conseillera ja ; mais. Il me semble également nécessaire d’énoncer et de graver dans la mémoire des enfants quelques règles, qui donnent à la vie une certaine fixité. Oui, j’oserais presque affirmer qu’il vaut mieux s’égarer en suivant des règles, que s’égarer en se laissant emporter au penchant arbitraire de sa nature ; et, tels que je vois les hommes, il me semble qu’il reste toujours dans leur nature un vide, qui ne peut être comblé que par une loi expresse et positive.

Ainsi votre méthode diffère complétement de celle que suivent nos amis ?

Oui, mais vous pouvez reconnaître leur-parfaite tolérance, en ce qu’ils ne me contrarient nullement sur ma route, précisément par ce que c’est la mienne ils vont au contraire audevant de tous mes désirs.

Nous réservons pour une autre occasion des éclaircissements plus détaillés sur la méthode que Nathalie suivait avec ses élèves. Mignon demandait souvent de se joindre à la société, et on le lui permettait d’autant plus volontiers, qu’elle semblait peu à peu s’accoutumer de nouveau à Wilhelm, lui ouvrir son cœur, et, en général, montrer plus de bonne humeur et de sérénité. Comme elle se fatiguait aisément, pendant la promenade, elle s’appuyait sur son bras.