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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/567

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T)E WILHELM MEISTER. 563

cette fraude pieuse envers une mère qui allaitait son enfant ; il lui apportait des nouvelles de notre frère, qu’il ne voyait jamais il lui recommandait en son nom le repos, la priait de prendre soin d’elle-même et de l’enfant et de se confier en Dieu pour l’avenir.

Spérata était naturellement portée à la dévotion son état, sa solitude, augmentèrent ce penchant, que le prêtre sut entretenir, pour la préparer par degrés à une séparation éternelle. A peine l’enfant fut-il sevré, à peine la mère sembla-t-ellc assez forte pour supporter les plus cruelles souffrances du cœur, que le prêtre commença à lui peindre sa faute sous d’affreuses couleurs, à lui faire envisager comme une sorte de crime contre nature, comme un inceste, les relations qu’elle avait eues avec un homme d’Église, car il avait le dessein bizarre de rendre son repentir égal à celui qu’elle aurait senti, si elle avait connu les vraies circonstances de sa faute. Par là, il lui inspira tant de douleur et d’angoisse, il lui présenta une si haute idée de l’Église et de son chef, il lui fit tellement envisager quelles conséquences terribles s’ensuivraient pour le salut de toutes les âmes, si l’on voulait user d’indulgence pour des fautes pareilles, et même récompenser les coupables par un mariage légitime il lui représenta si bien, comme il lui serait salutaire d’expier sa faute dès ce monde, et de gagner ainsi, quelque jour, la couronne de gloire, qu’enfin, comme une pauvre pécheresse, elle tendit volontairement le cou à la hache, et demanda instamment qu’on l’éloignât pour jamais de notre frère. Quand on eut obtenu d’elle ce sacrifice, on lui accorda cependant, mais sous une certaine surveillance, la permission d’habiter tour à tour, selon qu’il lui plairait, chez elle et au couvent.

Son enfant grandissait et montra bientôt une nature étrange. Elle devint de très-bonne heure agile à la course et d’une adresse remarquable dans ses mouvements ; bientôt elle chanta trèsagréablement, et apprit, pour ainsi dire, d’elle-même à jouer de la guitare. Toutefois elle parlait avec difilculté, et l’obstacle semblait résider dans l’esprit, plus que dans les organes de la parole. Cependant la pauvre mère éprouvait pour son enfant des sentiments douloureux les discours du prêtre avaient tellement troublé son esprit, que, sans être aliénée, elle se trou