Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’ordinaire une écharpe de soie autour de son corps ; on assure même qu’il mettait quelquefois à sa ceinture un poignard, déterré dans un vieux dépôt d’armures : équipé de la sorte, il répétait ses rôles tragiques, et c’était dans les mêmes dispositions que, s’agenouillant sur le tapis, il faisait sa prière.

Comme alors il trouvait heureux le comédien qu’il voyait possesseur de tant d’habits majestueux, d’équipements et d’armes, ne cessant jamais de s’exercer aux nobles manières, et dont l’âme semblait un miroir fidèle des situations, des passions, des sentiments les plus admirables et les plus sublimes que le monde eût jamais produits ! Wilhelm se représentait aussi la vie privée d’un comédien comme une suite de nobles actions et de travaux, dont son apparition sur le théâtre était le couronnement : à peu près comme l’argent, longtemps exposé à la flamme qui l’éprouve, paraît enfin brillamment coloré aux yeux de l’ouvrier, et lui annonce en même temps que le métal est pur de tout alliage.

Aussi, quelle fut d’abord sa surprise, lorsqu’il se trouva chez sa maîtresse, et qu’à travers l’heureux nuage qui l’entourait, il jeta un coup d’œil, à la dérobée, sur la table, les sièges et le parquet ! Les débris d’une toilette fugitive, fragile et menteuse, étaient là pêle-mêle, dans un désordre affreux, comme la robe éclatante des poissons écaillés. L’attirail de la propreté, les peignes, les savons, les serviettes, la pommade, restaient exposés à la vue, avec les traces de leur usage ; musique, rôles et souliers, linge de corps et fleurs artificielles, étuis, épingles à cheveux, pots de fard et rubans, livres et chapeaux de paille, ne dédaignaient pas le voisinage l’un de l’autre ; tous étaient réunis dans un élément commun, la poudre et la poussière, Mais comme, en présence de Marianne, Wilhelm faisait peu d’attention à tout le reste, que même tout ce qui lui appartenait, ce qu’elle avait touché, lui devenait agréable, il finit par trouver à ce ménage en désordre un charme qu’il n’avait jamais senti au milieu de sa brillante et pompeuse régularité. Lorsqu’il déplaçait le corset de Marianne pour ouvrir le clavecin ; qu’il posait ses robes sur le lit pour trouver où s’asseoir ; lorsqu’elle-même, avec une liberté naïve, ne cherchait pas à lui cacher certains détails, que la décence a coutume de dérober aux regards :