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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/69

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je me résigne volontiers, et je respecte le destin, qui sait amener mon bien et le bien de chacun.

— Il m’est pénible d’entendre le mot de destin dans la bouche d’un jeune homme, qui se trouve justement à l’époque de la vie où l’on a coutume d’attribuer ses passions à la volonté d’un être supérieur.

— Vous ne croyez donc pas au destin, à une puissance qui nous gouverne et dirige tout pour notre bien ?

— Il ne s’agit pas ici de ma croyance, et ce n’est pas le moment d’expliquer comment je cherche à me rendre concevables, dans une certaine mesure, des choses qui sont incompréhensibles pour tous les hommes : il s’agit uniquement de savoir quelle manière de concevoir la chose procure notre bien. La contexture de ce monde se compose de hasard et de nécessité ; la raison de l’homme se place entre l’un et l’autre et sait les dominer ; elle traite la nécessité comme le fond de son être ; le hasard, elle sait le gouverner, le conduire et le mettre à profit, et ce n’est qu’autant qu’elle reste ferme et inébranlable, que l’homme mérite d’être appelé le dieu de la terre. Malheur à celui qui s’accoutume dès sa jeunesse à vouloir trouver dans la nécessité quelque chose d’arbitraire, qui attribuerait au hasard une sorte de raison, à laquelle il se ferait même une religion d’obéir ! N’est-ce pas renoncer à sa propre intelligence et donner à ses passions une libre carrière ? On s’imagine être pieux et l’on chemine sans réflexion, avec insouciance ; on se laisse déterminer par des accidents agréables, et l’on donne enfin le nom de direction divine au résultat de cette vie vagabonde.

— Ne vous est-il jamais arrivé qu’une petite circonstance vous ait déterminé à suivre une certaine route, dans laquelle un agréable incident s’est bientôt présenté à vous, et une suite d’événements inattendus a fini par vous conduire au but, que vous-même vous aviez à peine encore entrevu ? Cela ne devrait-il pas inspirer de la soumission à l’égard du destin, de la confiance dans la passion qui nous mène ?

— Avec de tels sentiments, il n’est point de femme qui pût garder sa vertu, personne qui pût garder son argent dans sa bourse, car il s’offre assez d’occasions pour se défaire de l’un et de l’autre. Je ne vois avec satisfaction que l’homme qui sait