Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/71

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Comme si le souvenir pouvait renouveler le délire de l’ivresse qui enlace nos sens de liens célestes, les transporte hors d’eux-mêmes…. Et sa beauté…. »

Il s’égarait dans ces pensées : il passa du calme au transport ; il saisit un arbre dans ses bras, rafraîchit contre l’écorce ses joues enflammées, et les vents de la nuit emportaient les soupirs haletants qui s’échappaient avec effort de sa poitrine. Il chercha le mouchoir qu’il avait pris à Marianne : il l’avait oublié dans son autre habit. Ses lèvres étaient brûlantes ; tout son corps tremblait de désir.

La musique cessa, et il se crut précipité de la sphère où son émotion l’avait élevé jusqu’alors. Son inquiétude augmenta, lorsque ses sentiments ne furent plus nourris et calmés par la douce harmonie. Il s’assit sur le seuil de Marianne, et il y retrouva quelque repos. Il baisa l’anneau de cuivre, avec lequel on frappait à la porte ; il baisa le seuil effleuré des pas de son amante et le réchauffa des feux de sa poitrine. Puis il demeura encore un moment assis en silence, et se la représenta, derrière ses rideaux, en robe blanche, avec le ruban rouge autour de sa tête, dans un doux repos ; et il se figura lui-même si près d’elle, qu’il lui sembla qu’elle devait maintenant songer de lui. Ses pensées étaient riantes comme les visions du crépuscule ; il passait successivement du calme au désir ; l’amour parcourut mille fois, d’une main frémissante, toutes les fibres de son âme ; il semblait que l’harmonie des sphères célestes fût suspendue, pour écouter les douces mélodies de son cœur.

S’il avait eu la clef qui lui ouvrait ordinairement la porte de Marianne, il n’aurait pu se contenir, il aurait pénétré dans le sanctuaire de l’amour ; mais il s’éloigna lentement ; dans une demi-rêverie, il s’avança sous les arbres, d’un pas chancelant ; il voulait rentrer chez lui et se retournait sans cesse ; enfin il s’était fait violence, il s’en allait et regardait, encore une fois, de l’angle de la rue, lorsqu’il crut voir la porte de Marianne s’ouvrir, et une sombre figure en sortir et s’éloigner. Il était trop loin pour voir distinctement, et, avant qu’il se fût remis et qu’il eût regardé attentivement, l’apparition s’était déjà perdue dans la nuit : seulement il crut la revoir au loin se glisser le long d’une maison blanche. Il s’arrêta et cligna les yeux, mais,