Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/78

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Pour nous faire observer combien un jour nébuleux est triste et désagréable, il faut qu’un rayon de soleil, perçant la nue, nous offre le joyeux éclat d’une heure de sérénité.

Aussi ne put-il voir sans émotion ces reliques, longtemps gardées, monter l’une après l’autre en fumée et en flamme devant ses yeux. Quelquefois ses mains incertaines s’arrêtèrent : un collier de perles et un fichu de gaze lui restaient encore, lorsqu’il résolut de ranimer le feu languissant, avec les essais poétiques de sa jeunesse.

Jusqu’alors il avait soigneusement gardé tout ce qui avait coulé de sa plume, dès le premier développement de son esprit. Ses manuscrits étaient encore en liasse au fond de la malle où il les avait serrés, lorsqu’il espérait les emporter dans sa fuite. Comme il les ouvrit alors avec d’autres sentiments qu’il ne les avait liés ensemble !

Lorsqu’une lettre, que nous avons écrite et cachetée dans certaines circonstances, ne parvient pas à l’ami auquel elle était adressée et qu’elle revient à nous, si nous l’ouvrons, au bout de quelque temps, nous sommes saisis d’un sentiment singulier, en rompant notre propre cachet, et nous entretenant, comme avec un tiers, avec notre moi, dont la situation est changée. Un sentiment pareil s’empara fortement de notre ami, lorsqu’il ouvrit le premier paquet, et jeta au feu les cahiers mis en pièces, que dévorait une flamme soudaine, au moment où Werner entra, et, surpris de voir cet embrasement, demanda à Wilhelm ce qu’il faisait là.

«  Je donne la preuve, répondit-il, que j’ai résolu sérieusement de laisser là un métier pour lequel je n’étais pas né. »

En disant ces mots, il jeta dans le feu le second paquet. Werner voulut l’arrêter, mais c’était chose faite.

«  Je ne vois pas, lui dit-il, pourquoi tu en viens à cette extrémité : ces travaux peuvent ne pas être excellents, mais pourquoi les détruire ?

— Parce qu’un poème doit être parfait ou ne pas être ; parce que tout homme qui n’a pas les dons nécessaires pour exceller dans les arts devrait s’en abstenir et se mettre sérieusement en garde contre la tentation. Car chacun éprouve, il est vrai, je ne sais quel vague désir d’imiter ce qu’il voit ; mais ce désir ne