Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/109

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pénible angoisse, car l’espiègle revint, fit ses excuses, et parvint même à mettre Lucidor de bonne humeur par son étrange équipement. Ce qu’il y avait de hasardé dans la couleur et la coupe de l’habit était tempéré par un goût naturel : c’est ainsi que l’Indien tatoué surprend quelquefois notre suffrage.

« Cette fois, s’écria-t-il, nous allons nous dédommager de l’ennui des derniers jours ; de bons amis, de joyeux amis, sont arrivés, de jolies personnes, espiègles, amoureuses, et puis mon père, et, miracles sur miracles ! votre père aussi. Quelle fête ! Déjà tout le monde est réuni pour le déjeuner. »

Lucidor se sentit comme plongé dans un épais nuage, à travers lequel toutes ces figures annoncées, connues et inconnues, lui apparaissaient comme des fantômes : mais il fut soutenu par son caractère et la pureté de son cœur. En quelques secondes, il fut prêt à tout événement. 11 suivit, d’un pas tranquille, son impatient ami, bien résolu d’attendre, quoi qu’il pût arriver, et de se déclarer, quoi qu’il en pût résulter.

Cependant, dès l’entrée, il fut saisi d’étonnement. Dans un grand demi-cercle de personnes rangées auprès des fenêtres, il découvrit d’abord son père à côté du grand bailli, tous deux en grand costume. Il jeta sur les sœurs, sur Antoni et d’autres personnes, connues et inconnues, un rapide coup d’œil, et sa vue faillit se troubler. Il s’avança, d’un pas chancelant, vers son père, qui le salua très-affectueusement, mais avec une certaine cérémonie /qui encourageait à peine une approche familière. Debout, devant tant de monde, il se cherchait, pour le moment, une place convenable. Il aurait pu s’asseoir auprès de Lucinde ; mais Julie, contre les lois de l’étiquette sévère, fit un mouvement qui l’obligea de s’approcher d’elle, et Antoni resta auprès de Lucinde.

Dans ce moment décisif, Lucidor se sentit de nouveau comme un chargé d’affaires ; et, fortifié par toute sa jurisprudence, il se rappela, pour son avantage personnel, cette belle maxime : « Nous devons gérer les affaires d’autrui comme celles qui nous sont propres. » Et pourquoi pas les nôtres dans le même esprit ? Il savait parfaitement exposer une affaire ; il passa promptement en revue ce qu’il avait à dire. Cependant la société, rangée tout de bon en demi-cercle, semblait vouloir l’envelopper. Il