Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/143

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l’une ni l’autre ne firent sur moi aucune impression ; j’ai retenu le nom de l’une seulement et l’ai appliqué à l’autre. Maintenant, celle qui ne m’intéresse point, je la trouve, à sa manière, au comble du bonheur, tandis que l’autre est reléguée, Dieu sait dans quel pays ! »

Le lendemain, les deux amis furent debout même avant les laborieux campagnards. Le plaisir de voir ses hôtes avait aussi éveillé Valérine de bonne heure. Elle ne soupçonnait pas les sentiments avec lesquels ils parurent au déjeuner. Wilhelm, qui voyait bien que, si Lénardo n’avait pas des nouvelles de la Brunette, il se trouverait dans la plus douloureuse situation, mit la conversation sur le premier âge, sur les amies d’enfance, sur les beaux lieux qu’il connaissait lui-même, sur d’autres souvenirs encore, si bien que Valérine fut enfin conduite, d’une manière toute naturelle, à parler de la Brunette, et à prononcer son nom.

A peine Lénardo eut-il entendu le nom de Nachodine, qu’il se le rappela parfaitement ; mais, avec le nom, revint aussi l’image de cette suppliante, et il en fut si vivement saisi, qu’il éprouva une insupportable douleur, lorsque Valérine, avec une chaleureuse sympathie, raconta l’expulsion du pieux fermier, sa résignation, son départ, et comme il s’appuyait sur sa fille, qui portait un petit paquet de hardes. Le baron se sentait comme anéanti. Par malheur, et par bonheur aussi, Valérine entra dans certains détails qui déchiraient le cœur de Lénardo, mais qui, avec le secours de son compagnon, lui permirent de faire assez bonne contenance.

Au moment du départ, les époux prièrent vivement leurs hôtes de revenir bientôt les voir, ce qu’ils promirent du bout des lèvres. Et, comme les personnes qui se flattent volontiers trouvent partout sujet d’être satisfaites, Valérine finit par expliquer à son avantage le silence de Lénardo, sa distraction visible au moment des adieux, son départ précipité, et, quoique aimable et fidèle épouse d’un honnête campagnard, elle ne put s’empêcher de prendre quelque plaisir à l’inclination nouvelle ou renaissante de son ancien seigneur.

Après cette singulière aventure, Lénardo dit à Wilhelm :

« Avec de si belles espérances, il est cruel d’échouer au port,