Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/147

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« Dans ma situation, lui dit-il, je regarde comme très-souhaitable la mission de délivrer d’inquiétude un homme généreux, tel que vous, et de sauver en même temps une infortunée de la détresse où elle se trouve peut-être. Un but pareil est comme une étoile vers laquelle on navigue, quand même on ne sait pas ce qu’on trouvera sur la route, quel accident l’on peut rencontrer. Cependant je ne puis me dissimuler le péril où je vous vois flotter, quoi qu’il arrive. Si vous n’étiez pas résolu à ne jamais engager Votre parole, j’exigerais de vous la promesse que vous ne reverrez jamais cette femme, qui vous coûte si cher ; qu’il vous suffira d’apprendre par moi qu’elle est heureuse, à supposer que je la trouve dans le bien-être ou que je sois en état de procurer son bonheur. Mais, comme je ne veux ni ne puis vous obliger à me faire une promesse, je vous conjure, par tout ce qui vous est cher et sacré, par vous-même, par votre famille et par moi, votre nouvel ami, de ne vous rapprocher, sous aucun prétexte, de cette femme regrettée ; de ne pas exiger que je vous désigne ou même vous déclare le lieu où je la trouverai, le pays où je l’aurai laissée. Vous en croirez ma parole, quand je vous dirai qu’elle est heureuse, et vous serez quitte envers elle et tranquillisé. »

Lénardo répondit en souriant :

« Rendez-moi ce service et je serai reconnaissant. Pour ce que vous pourrez et voudrez faire, je m’en remets à vous entièrement. Vous-même, remettez-moi au temps, à la réflexion et s’il est possible, à la raison.

— Excusez-moi, reprit Wilhelm : celui qui sait sous quelles formes étranges l’amour se glisse chez nous, doit s’alarmer, quand il prévoit qu’un ami pourrait désirer ce qui, dans sa situation, dans sa position de famille, serait pour lui nécessairement une cause de trouble et de malheur.

— J’espère, dit Lénardo, qu’en apprenant que cette jeune fille est heureuse, je serai délivré d’elle. »

Là-dessus les deux amis se séparèrent, et partirent chacun de son côté.