Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tout le reste. Je pouvais donc mettre de l’intérêt et consacrer de l’activité à beaucoup d’autres objets, puisque je n’avais plus à m’occuper de varier ces besoins extérieurs, qui consument le temps et les forces de tant de gens. L’homme attentif et affectionné à ce qu’il possède y trouve la richesse, puisqu’il s’amasse de la sorte un trésor de souvenirs, qui se rattachent à des choses indifférentes. J’ai connu un jeune homme qui, en faisant ses adieux à sa bien-aimée, lui déroba une épingle, dont il attachait chaque jour son jabot, et qui rapporta ce trésor, précieusement gardé, après avoir voyagé sur mer pendant plusieurs années. A nous autres petits hommes, il faut compter cela comme une vertu.

— Il en est plus d’un, répliqua Wilhefan, qui rapporte d’un si grand voyage une épine dans le cœur, dont il aimerait mieux peut-être se sentir délivré. »

Le vieillard semblait ne pas songer à la situation de Lénardo, bien qu’il eût ouvert et parcouru la lettre, car il revint a ses premières réflexions.

< t La ténacité du possesseur, poursuivit-il, lui donne, dans certains cas, la plus grande énergie. Je dois à cette persistance le salut de ma maison. Quand la ville brûla, on voulait aussi chez moi s’enfuir, emporter le mobilier. Je m’y opposai : j’ordonnai de fermer les portes et les fenêtres, et, avec quelques voisins, je combattis les flammes. Par nos efforts, nous réussîmes à sauver ce bout de la ville. Le lendemain tout subsistait encore chez moi, comme vous le voyez, et comme il a subsisté depuis près de cent ans.

— Avec tout cela, dit Wilhelm, vous m’avouerez que l’homme ne résiste pas aux changements que le temps amène.

— Sans doute, dit le vieillard, mais celui qui se maintient le plus longtemps a néanmoins son mérite. Nous sommes capables de maintenir et de conserver, même au delà du terme de notre vie ; nous transmettons des connaissances, nous transmettons des sentiments, aussi bien que des richesses. Mais, comme, à présent, j’ai surtout à m’occuper de celles-ci, j’ai usé dès longtemps d’une singulière prévoyance ; je me suis avisé de précautions toutes particulières : cependant je n’ai réussi que bien tard à voir mes vœux accomplis.