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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/167

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un corps dans un emblème commun, vulgaire, saisissable, tellement qu’elle s’offre à nous vivante, réelle, présente, que nous pouvons nous l’approprier, la saisir, la retenir, vivre avec elle comme avec notre égale, c’est une seconde espèce de miracle, et l’on peut raisonnablement la rapprocher de la première, peut-être même lui donner la préférence. Ici la leçon est vivante, la leçon, qui n’éveille aucun débat : ce n’est pas une opinion sur le juste et l’injuste ; c’est le juste ou l’injuste même, incontestablement. »

Cette galerie était plus courte que l’autre, ou plutôt elle ne formait qu’un des quatre côtés de la cour intérieure ; mais, si l’on ne faisait que passer dans l’autre, on s’arrêtait volontiers dans celle-ci ; volontiers on y faisait plus d’un tour. Les objets étaient moins frappants, moins variés ; mais ils invitaient bien plus à en rechercher le sens paisible et profond. Aussi, arrivés au bout de la galerie, Wilhelm et le guide revinrent-ils sur leurs pas ; cependant Wilhelm exprima son étonnement de voir que les peintures s’arrêtaient à la Cène, à la séparation du Maître et des disciples. Il demanda où se trouvait le reste de l’histoire.

« Dans chaque enseignement, répondit l’ancien, nous aimons à séparer tout ce qui est séparable : c’est le seul moyen de faire naître chez la jeunesse l’idée de l’importance des choses. La vie mêle et confond tout : c’est pourquoi nous avons entièrement séparé de sa vie la mort de cet homme parfait. Dans sa vie il apparaît comme-un vrai philosophe (que cette expression ne vous scandalise point), comme un sage sublime : il s’attache fermement à son objet ; il suit sa route constamment, et, tout en élevant jusqu’à lui les humbles, en communiquant aux ignorants, aux pauvres, aux infirmes, sa sagessse, sa richesse, sa force, et paraissant, en cela, s’égaler à eux, d’un autre côté, il ne dément pas sa céleste origine ; il ose s’égaler à Dieu, se déclarer Dieu lui-même. Par là il étonne, dès son enfance, les personnes qui l’entourent, s’en attache une partie, soulève l’autre contre lui, et montre à tous ceux qui aspirent à une certaine élévation dans l’enseignement et dans la vie, ce qu’ils doivent attendre du monde. Aussi sa conduite est-elle plus instructive encore et plus salutaire que sa mort pour l’élite de l’humanité : car tous les hommes sont appelés aux épreuves