Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/21

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semble de bâtiments, de terres et de priviléges, et, en échange, répandit dans le pays une culture variée, n’avait pas aussi exercé, du milieu de ces ruines, sa force de vie sur un être vivant. Mais ne nous arrêtons pas à ces réflexions générales : racontez-moi votre histoire, afin que j’apprenne comment il est possible que, sans frivole badinage, et sans orgueilleuse prétention, le passé se reproduise en vous, et que ce qui n’est plus puisse renaître. »

Au moment où Wilhelm attendait de la bouche de son hôte une réponse propre à l’instruire, une douce voix cria dans la cour : « Joseph ! » L’hôte prêta l’oreille, et s’avança vers la porte.

« Ainsi donc il s’appelle aussi Joseph ! se dit Wilhelm : c’est assez singulier, et moins singulier pourtant que de le voir, dans sa vie, figurer son patron. »

Wilhelm regarda vers la porte, et vit la madone de la veille en conversation avec l’homme. Ils se séparèrent enfin : la femme se dirigeait vers le bâtiment en face.

« Marie ! lui cria Joseph, encore un mot !

— Elle s’appelle aussi Marie ! Il s’en faut peu que je ne croie reculer de dix-huit siècles. »

Wilhelm songeait au vallon sévère, isolé, dans lequel il se trouvait ; il songeait aux ruines et au silence, et le sentiment de l’antiquité s’emparait de lui étrangement ; il était temps que l’hôte et les enfants rentrassent. Ceux-ci proposèrent à Wilhelm une promenade, tandis que leur père avait à s’occuper de quelques travaux. Ils traversèrent les ruines de l’église aux nombreuses colonnes ; les hauts pignons et les murs semblaient se consolider, à braver les vents et les orages ; des arbres de forte taille s’étaient, depuis de longues années, enracinés sur les larges murailles, et, avec les herbes, les fleurs et la mousse, formaient dans l’air des jardins hardiment suspendus. D’agréables sentiers dans les prairies menaient au bord d’un ruisseau rapide : le voyageur put contempler, d’une petite éminence, le monastère et son emplacement, avec d’autant plus d’intérêt, que ses habitants lui paraissaient toujours plus remarquables, et, par leur harmonie avec les objets qui les entouraient, avaient éveillé sa curiosité au plus haut point.